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levez-vous en souvenir de ceux qui sont morts pour nous libérer. Ce souvenir sera éternel. À eux nos prières ! » Et, suivant la teneur du procès-verbal, l’assemblée « se leva dans un silence religieux. »

C’était là ce qu’on appelle souvent la « froide Lorraine. » « On nous juge, a écrit Barrès, sur la discrétion de notre cœur, » Et ailleurs : « Ces gens de Metz sont de vieux civilisés, modérés, nuancés, jaloux de cacher leurs puissances d’enthousiasme. » Ils ne les cachaient plus, mais elles se traduisaient suivant le mode grave et je dirai pieux. « Lorsque les Juifs, au retour de Babylone, virent poindre à l’horizon les hauteurs de Sion, écrira le Messin pour expliquer aux Français le caractère de la réception, ils éclatèrent en sanglots et s’agenouillèrent. Nous aussi nous avons voulu fléchir le genou devant les soldats de France. Ne pouvant le faire, nous pleurons. » Dans la tour de la cathédrale, le « grand moûtier de Lorraine, » la Mute dont l’airain porte : « J’annonce la Justice, » frémissait : jamais pareille occasion ne lui serait offerte, pareille fête servie. Les officiers, qui le 17, le 18, vinrent à Metz s’entendre avec la municipalité, virent qu’après le drapeau impérial et féodal d’Allemagne, le drapeau rouge avait été abattu. Mais dans la cathédrale, des gens agenouillés ornaient de fleurs le tombeau de Mgr Dupont des Loges ; des prières d’actions de grâces montaient vers les ogives de l’admirable nef comme un encens. Et soudain, — fait incroyable en cette ville « discrète, » il sembla que les pavés se soulevaient ; c’était le 18 au soir ; les trois Hohenzollern de bronze, Guillaume Ier, Frédéric III et le « vainqueur de Metz, » le prince Frédéric-Charles qui, de leur lourd poids opprimaient encore le sol, — et les cœurs, — roulèrent en bas de leurs piédestaux. La « discrète » ville mettait en pratique le « Deposuit potentes de sede » et aidait Dieu à « déposer les puissants. » Le Guillaume II qui, au fronton de la cathédrale, en vain se dissimulait sous le manteau du prophète Daniel, était enchaîné et cloué comme au pilori, sous la pancarte désormais célèbre : « Sic transit gloria mundi. »

Au quartier général de Champigneulle, on était pénétré d’une sorte de respect : chacun avait conscience de la valeur du geste qui s’allait faire ; on se rappelait cette journée du 20 octobre 1870, où le maréchal Bazaine livrait la ville, où les