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petite Française de Jouy-aux-Arches. » De Luppy, où le général Caron va entrer, on écrira : « Pour un court moment, les battements du cœur sont suspendus. Sont-ce vraiment les Français ? — Oui, oui, les voilà ! » À Châtel-Saint-Germain, le maire et le curé ont présenté au colonel, entre autres gens, « les parents en deuil à qui il a adressé de bien bonnes paroles » qui ont fait verser des larmes. À Ancy-sur-Moselle, entre Arnaville et Metz, on avait produit un drapeau tricolore d’avant 1870 portant encore l’aigle impériale, et on l’avait processionnellement porté dans les bras du Sacré-Cœur. Partout le curé, qui souvent sortait de prison, avait été aux côtés du maire pour accueillir les chefs militaires.

À Château-Salins, la fête offerte à l’admirable division du Maroc devait rester l’une des plus touchantes de toute la province. Le général Daugan avait dit à ses soldats : « Vos drapeaux et vos fanions flotteront et salueront bien bas des Lorrains qui depuis près de cinquante ans pleurent en silence sous l’oppression de leurs lourds vainqueurs et appellent de tout leur cœur la France chérie. » Le 17, à huit heures, la division, en marche depuis l’aube, avait vu soudain, dans la brume du matin, flotter des bannières qui venaient au-devant d’elle. Les soldats avaient été accueillis au milieu d’un tel frémissement, partant si évidemment du plus profond de l’être que, disait-on, le soldat sans peur qu’est Daugan, n’avait pu se défendre contre les larmes. La Légion étrangère, ayant à sa tête le colonel Rollet, ayant défilé superbement, les notables, s’avançant en une attitude religieuse, avaient demandé au général la permission d’embrasser ce drapeau qui, depuis 1914, avait été de toutes les grandes batailles.

À Morhange, un officier (qui m’a communiqué ses notes) arrivant le 17, le premier, avec quelques camarades, produit une sensation telle que lui-même en reste le cœur étreint : conduits chez le maire comme des envoyés du ciel, nos officiers marchent « entourés de gens qui rient, qui pleurent, qui louchent leurs vêtements comme des reliques ; » chez le maire, on boit à la France, on chante la Marseillaise, « une Marseillaise coupée de sanglots, plus sublime que toutes celles entendues jusqu’ici ; les larmes coulent, de ces larmes qui ne sortent pas seulement des yeux, mais qui débordent du cœur brisé de joie. » Un vieux combattant de 70, parmi les gens qui