Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La mélodie même de Berlioz ne diffère pas moins, par sa nature aussi, de la mélodie classique, soit d’une mélodie de Mozart, et, si l’on veuf, du Voi che sapete, de Chérubin. Celle-ci procède en quelque sorte par l’imitation d’elle-même, par la génération de formes analogues à la forme primitive, et qui toutes entre elles se ressemblent et se répondent. Le processus de la mélodie romantique est exactement contraire. Plus de rappels ni de rapports ; indépendance, individualisme absolu de l’être sonore ; pleine Liberté pour lui de cheminer à sa guise, d’errer même, s’il lui plaît, à l’aventure et, la chose arrive quelquefois, de s’attarder ou de se perdre. « Rêveries, Passions, » de la Symphonie Fantastique ; « Roméo seul, » de Ronéo et Juliette, voilà des pages maîtresses, flottantes mélopées où se trouvent réunis les caractères éminents de la musique de Berlioz, ses défauts ou ses faiblesses peut-être, sûrement ses plus originales, ses plus émouvantes beautés.

Dans l’ordre de la mélodie encore, mais, pour cette fois, de la mélodie ordonnée, logique, Berlioz n’a rien écrit de supérieur à la cantilène, ou plutôt à l’incantation de Méphistophélès veillant Faust endormi parmi les roses. Jamais il n’a tenu, soutenu discours musical plus un et plus uni, que soulève seulement çà et là on ne sait quel afflux, quelle vague de tendresse. Et quel orchestre moelleux porte la noble berceuse et l’ennoblit encore ! Oh ! l’heureuse trêve laissée à l’esprit du mal, ou plutôt, en cet esprit et par cet esprit lui-même ! Devant la misère de l’homme, son ouvrage, le démon s’émeut de pitié, sinon de repentir. Si la Damnation de Faust est le chef-d’œuvre de Berlioz, voilà peut-être le chef-d’œuvre de la Damnation.

Le ballet des Sylphes en forme le délicieux épilogue. « Énorme et délicat, » l’art du grand artiste est l’un et l’autre tour à tour. Ecoutant, y a quelques semaines, avant le Tuba mirum du Requiem, la scène du bal, de la Symphonie Fantastique, et le trio des Jeunes Ismaélites, de l’Enfance du Christ, nous rappelant aussi le scherzo de la Reine Mab, nous avons compris le mot de Gounod : « Quel homme élégant, ce Berlioz ! »

Sa patrie pourrait dire, à peu près comme le personnage de Molière : « Vivant, je le querellais ; mort, je le pleure. » Sans doute elle attendit moins de cinquante ans, dix à peine, pour acclamer le musicien disparu de la Damnation de Faust. Mais dans les jours d’anniversaire où nous sommes, on pouvait, on devait donner un autre éclat, national et patriotique, à sa commémoration funèbre. Les circonstances y prêtaient, et quelques-unes aussi, trois exactement, de