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Décidément, du « Mariage » aux « Noces » de Figaro, il y a plus qu’un mot de changé. La nuit, « sons les grands marronniers, » à peine reconnaissons nous Suzanne à des accents que peut-être elle ne se connaissait pas elle-même. Avec les parures et les voiles de sa maîtresse, il semble qu’elle en ait pris l’âme. Laquelle de ces deux femmes chante, soupire ainsi ? Entendons-nous Suzanne, ou la comtesse ? Ou peut-être l’une et l’autre, et d’autres encore que toutes deux. Le texte dit ; « i furti miei. » Il a beau dire, et l’action, la parole, ont beau n’être ici que supercherie et mensonge, la musique, elle, ne ment, ne trompe pas. Elle est tendre, voluptueuse même avec sincérité et c’est le véritable, c’est l’éternel amour, qu’une voix féminine invoque dans la nuit bleue qui tombe sur « la folle journée. »

Amour, poésie, en souhaitez-vous une effusion nouvelle ? Attendez quelques minutes à peine. Dans cette nuit, favorable et trompeuse à la fois, Chérubin d’un côté, de l’autre la comtesse et le comte, se sont esquivés. Pour surprendre Suzanne, Figaro lui-même paraît, mais, à son tour, non plus tout à fait le même. Les fables de l’antiquité reviennent à sa mémoire et, sur ses lèvres, les noms de Mars, de Vénus et de Vulcain. Beaumarchais ne dit ici rien de pareil, et Mozart n’a jamais rien chanté de plus beau. C’est l’affaire d’un instant, d’un mouvement ralenti, d’une modulation imprévue. Suivent douze mesures de musique, pas davantage. Mais de quelle musique ! Auguste, solennelle et presque sacrée, on peut bien l’appeler divine, car elle nous fait, encore mieux que les paroles, nous ressouvenir des dieux. Pour le sentiment et pour le paysage, nous ne savons de comparable à cet épisode, que la scène, également de nuit et d’amour, par où commence le dernier acte de Falstaff.


« Ombra mai fù
Di vegetabile,
Cara ed amabile
E soave più.


Jamais ombre ne fut plus chère, plus aimable et plus suave. » Ainsi chante un air de Hændel. Seuls, par le mystère et l’harmonie que leur ombre enveloppe, les vieux chênes de Windsor sont un peu les flores des « grands marronniers « de Figaro.

Ailleurs, jusque dans le feu de l’action, et de la plus vive, de la plus prompte, un soupir de tendresse, un cri de passion même, peut échapper à Mozart. Chérubin, avant de sauter par la fenêtre, saute au cou de Suzanne et sur ces mots : « Je t’embrasse pour elle, » il