Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
REVUE DES DEUX MONDES.

bras ouverts ; depuis la frontière (col du Bonhomme) jusqu’à Kaisersberg, ce n’a été que fêtes. Tout le monde nous donnait des fleurs, du pinard, — et les demoiselles sautaient même au cou des poilus. » À la Poutroye ; — qu’absurdement le Boche a baptisé Schnierlach, — on montre bien qu’on est des gens de la Poutroye et non de Schnierlach. « Là ce fut l’apothéose ; c’était magnifique : une décoration superbe, pleine de feuillages de sapins, de verdure, lampions et drapeaux français. Un arc de triomphe avec cette inscription : Porte de l’Alsace. Nous traversons la ville musique en tête d’un pas allongé, malgré les 35 kilomètres que nous venions de faire depuis le matin. La foule était ivre de joie. »

À Andlau, l’avant-veille occupé par des Hongrois (cette guerre a eu de ces surprises) et qui, la veille, avait vu passer des Allemands en déroute et criant : « Les Français nous suivent de près, » il y avait eu doute : « Les Français passeraient-ils en ce petit endroit ? » Il en arriva tout un régiment : l’ivresse était telle que les jeunes filles dansaient devant les chevaux ; des vieillards pleuraient : « On peut mourir ! » Le soir il y eut bal. « J’ai dansé, me racontait une aimable vieille demoiselle. Cela ne m’était pas arrivé depuis bien trente ans. J’avais été invitée par un vieux capitaine qu’on appelait « le Papa » dans le régiment. Et les jeunes filles du pays me criaient : « Eh ! quoi, mademoiselle, vous dansez ! » et à mon cavalier les jeunes officiers disaient : « Comment, le Papa, on danse ! » Qui ne dansait pas ces soirs d’ivresse des 17, 18, 19 entre les Vosges et l’Ill ? On dansait. Alsaciennes et poilus enlacés, dans la vallée de la Bruche comme dans celle de la Liepvrette, aux bords de la Fecht comme aux bords de la Zorn. Et déjà, le 18, nos soldats atteignaient le Rhin, à l’Est de Mulhouse, le 414e ayant le privilège de venir, premiers soldats de France, s’arrêter au Nord d’Huningue devant le grand fleuve remis « en notre verre. »

Cependant, le 19, le général Gérard, commandant la 8e armée, faisait une entrée solennelle, — tout le pays de Sarrebourg et Phalsbourg étant, nous le verrons, occupé de la veille, — à Saverne. L’hommage était bien dû à la ville d’où, en 1913, était parti le cri de révolte qui avait ému l’Europe. « Aux héros de la liberté, ceux qui ont souffert pour elle, criait un arc de triomphe, et, pour qu’on ne s’y trompât point : « Affaire de Saverne. Novembre 1913. Entrée des Français à Saverne,