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ce n’est pas ici le lieu d’entamer un procès dont le développement nous mènerait trop loin. Notons seulement que nos pertes en revenu seront dans l’avenir plus fortes proportionnellement que ne sont nos perles en capital, puisqu’il nous manquera toute l’activité productrice de nos morts, une partie, de celle de nos mutilés : il faudra que ceux qui restent travaillent deux fois plus pour remplacer les absents, il faudra que le pays produise et épargne deux fois plus pour réparer la brèche faite dans son patrimoine héréditaire.


III

Bien téméraire qui voudrait préciser davantage le calcul de nos pertes de guerre, car rien n’est hasardeux comme d’apprécier aujourd’hui des « valeurs, » en présence de ce fait capital, et d’ailleurs général, la hausse des prix. De tous les phénomènes économiques nés de la guerre, c’est l’un des plus graves et des plus troublants. En grossissant la valeur de toutes choses, il donne au pays l’apparence, — trompeuse, — de la prospérité. Il rend la vie difficile, ou même plus, à beaucoup : à beaucoup en même temps il profite, et s’il fait le désespoir de ceux qui achètent, il fait la joie de ceux qui vendent. A la vérité personne n’y peut rien, ou du moins il n’y a que « tout le monde » qui y pourrait quelque chose, si « tout le monde » voulait bien, devant la restriction de la production, restreindre sa consommation ; mais « tout le monde, » eut-il, ce que je ne crois pas, plus d’esprit que M. de Voltaire, ne brille toujours pas par l’esprit de sacrifice.

On ne sait que plaindre, et non d’ailleurs sans cause. D’après une des dernières enquêtes, portant sur le prix des denrées alimentaires dans les villes, ce qui coulait 100 francs à un budget ouvrier avant la guerre en coûtait 233 en juin dernier. Et cette hausse considérable est très dépassée par celle qui atteint bien des matières premières ou des produits manufacturés. Telle de nos compagnies de chemins de fer qui payait avant la guerre son charbon 25 francs la tonne en moyenne, l’a payé 90 francs en 1918. Sans doute n’est-il pas indiscret de dire que le papier sur lequel est imprimé cette Revue a presque quintuplé de prix depuis quatre ans. Il ne manque d’ailleurs pas de produits dont la valeur marchande a décuplé dans le