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Compterons-nous, au passif de la guerre, tout ce que la guerre a empêché le pays de créer en fait de richesses nouvelles . épargnes qu’il n’a pas réalisées ou qu’il a offertes à la guerre, produits qu’il n’a pas mis en stock ou exportés parce que les producteurs se battaient pour lui dans la tranchée ? Rien qu’en économies normales, il mettait autrefois de côté près de 4 milliards annuellement ; pour quatre ans et demi de guerre, voilà 18 milliards d’ « acquêts » qui lui ont échappé. J’entends bien que ce sont là des valeurs qui n’ont pas été soustraites réellement de l’actif national : elles n’y ont pas été ajoutées, voilà tout, il y a eu « manque à gagner, » et non perte effective, hors le cas où, les produits non créés manquant à la consommation, celle-ci a fait appel à l’importation de l’étranger. Mais ce « manque à gagner » n’en est pas moins grave comme facteur d’appauvrissement pour l’avenir.

Voici enfin le gros bloc des dépenses exceptionnelles de guerre proprement dites : on sait que les crédits ouverts atteignaient la somme de 140 milliards à la fin de 1918, non compris les services civils [1]. Tel était alors le coût financier de la guerre. Est-ce là une perte définitive pour la communauté ? Non, car la majeure part de ces dépenses est restée dans le pays. Ecartons l’illusion monétaire, le voile d’argent qui cache ou fausse la réalité économique. La guerre ne se fait pas avec des louis d’or ou des billets de banque, mais avec des produits, des richesses, qu’elle consomme et détruit. Ces richesses, le pays a pu en fournir une partie, en sus de la grosse masse de sa production journalière. Il a utilisé ses réserves en capitaux circulants, stocks, matières premières, cheptel. Il a mis à contribution ses capitaux fixes, soit directement, lorsqu’il a par exemple coupé ses bois, soit indirectement, quand il a usé de son outillage économique ou industriel (chemins de fer, matériel, bateaux, usines, machines, bâtiments) sans le réparer ou le reconstituer. Dans l’un et l’autre cas, c’est du capital qui a été absorbé ou s’est détérioré : d’où une perte qu’on a évaluée, pour la France non envahie, et en valeur d’avant-guerre, — ce

  1. Et non compris les intérêts de la dette. A ce chiffre il faudrait ajouter les déficits des comptes spéciaux. Les services exceptionnels de 1919, et toutes les dépenses que vote actuellement le Parlement, dans un vertige étourdissant, et dans une incroyable inconscience de la gravité de notre situation financière : le gouffre des milliards ne cesse de se creuser, bientôt nous serons à 200 milliards de dépenses exceptionnelles de guerre.