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allaient venir : des chacals après des vitriers, des biffins après des cuirs, des turcos après des artiflots Et comme l’ivresse s’augmentait de leur « gentillesse, » on voulait faire toujours mieux : « Dansez, dansez, jeunesses ! »

Parfois on va bien avant du bourg, — tant on est pressé de prendre contact, — au-devant de la troupe. « Ils viennent de Mutzig, » ont crié des personnes arrivant en carriole à Molsheim : vite la charmante petite ville, — vrai décor pour l’Opéra, avec ses places pittoresques et ses grosses portes gothiques, — est en émoi : un cortège se forme devant l’exquis hôtel de ville, court au-devant du 47e de ligne : le capitaine qui commande l’avant-garde est porté en triomphe ; le maire, M. Jehl, le reçoit à la mairie tout comme s’il s’agissait du maréchal Foch. Le régiment entre. Quel beau bal, ce 18 ! Et le 20, on recommencera pour le général Desvoyes qui sera reçu bannières déployées par le maire et le « recteur, » l’abbé Metz, qui bénit le Dieu des armées et les armées de Dieu. Le cortège s’arrêtera au monument élevé aux soldats et, de là, à l’église ; puis, — toujours, — bals partout. Lorsque j’arrivai quelques heures après, la ville continuait à danser : les musiques parcouraient les rues. Pavoisé, Molsheim semblait l’heureuse invention d’un peintre de génie : ah ! le joli décor pour une fête pittoresque et le joli cadre à cette féerie !

À Sainte-Marie, — que ces barbares appelaient Markirsch, — les soldats n’en reviennent point de la fête. « Hier, à la tombée de la nuit, note l’un d’eux, nous sommes entrés musique en tête et en grand tralala. Je ne puis décrire la réception qui nous a été faite par cette population, qui a tant souffert de l’occupation de ces barbares. Je n’ai jamais vu une ville aussi pavoisée. On se demandait comment ces gens avaient pu confectionner tant de drapeaux tricolores de toutes les formes et tant de guirlandes. Inutile de te dire que les poilus avaient plusieurs bouquets au bout du fusil et à la boutonnière. Ces gens-là nous sautaient au cou et si on leur donnait du pain, ils pleuraient toutes leurs larmes. » À Barr, musique de la ville, pompiers, les jeunes filles habillées en Alsaciennes nous attendaient. Le colonel a été obligé de descendre de cheval. Nous étions enlevés. Jamais je n’ai assisté à pareille fête. Malgré que nous étions fatigués, tu penses si on marchait. » Parfois, il n’est pas besoin d’atteindre une petite ville pour être « reçu. » « Nous avons été reçus à