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elle les réédifiait comme des cités pleinement libres, pleinement égalitaires et pleinement fraternelles ; l’esclavage n’était qu’un détail, dont elle ne tenait pas compte ; elle leur savait gré, surtout, de s’être passées de rois. La voix de Fénelon sermonnant Louis XIV flattait ces aspirations nouvelles.

Derechef elle eut un écho, en 1777, sur les lèvres du même d’Alembert, devant le même auditoire : pour fêter le jeune Joseph II, qui assistait à la séance de l’Académie, d’Alembert voulut présenter à l’Empereur réputé tolérant un grand précepteur de tolérance : il relut solennellement son Éloge de Fénelon. Et puis en 1785 il l’imprima ; et les annotations qu’il y joignit scandaient les hardiesses du texte. On y voyait M. de Cambrai, vers la fin de sa vie, « étendre ses principes de tolérance encore plus, loin qu’il n’avait fait jusqu’alors, » et « regarder avec indifférence toutes les disputes théologiques. » Sa Lettre à l’Évêque d’Arras sur In lecture de l’Écriture Sainte était malicieusement commentée : d’Alembert observait qu’on pourrait prendre pour « l’intention la plus maligne » l’affectation que mettait l’archevêque à « présenter les traits de la Bible les plus propres à scandaliser les faibles, et à donner aux impies un avantage apparent dans leurs objections contre le texte sacré. » Fénelon, — ce Fénelon qu’un ancien Jésuite se disposait à éditer, — apparaissait comme un demi-précurseur pour le Voltaire du Dictionnaire philosophique et de la Bible enfin expliquée .[1]. Et d’Alembert l’éclairait d’un autre rayon de gloire, en rapportant ce mot que Ramsay prêtait au précepteur royal : « Tout prince sage doit souhaiter de n’être que l’exécuteur des lois. » Il était presque intimidé par la netteté de cet axiome, et se hâtait de spécifier qu’en le reproduisant il agissait en « simple historien. » Quelques années plus tard, pour avoir refusé d’être l’exécuteur des lois de la Constituante contre l’Église, Louis XVI, — un dévot de Fénelon, pourtant, — allait connaître une série de désagréments, qui devaient finir d’une façon tragique.

Mais ces catastrophes mêmes, il semblait que Fénelon les eût prévues. Un autre mot de lui, reproduit par Ramsay, et que retrouvaient dans le supplément des Directions tous les lecteurs de ce livre, parlait d’ « une révolution violente et soudaine qui,

  1. Une ligne de Brunetière, Histoire et Littérature, II, p. 152, témoigne, au sujet de cette Lettre, d’une impression proche de celle de d’Alembert.