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tous ses biographes qui l’a le mieux connu , le regretté Pierre-Maurice Masson, a pu dire que « Fénelon est le seul des grands chrétiens du XVIIe siècle auquel Rousseau se soit donné tout entier. »

Le bon Bernardin de Saint-Pierre, qui, tout détaché qu’il fût de toute religion positive, aimait avoir à domicile quelques Dieux Lares, acquit un jour sur le Pont-Neuf une petite urne, qu’il installa dans un angle de son cabinet : il y suspendit une inscription, sur laquelle il associait Jean-Jacques Rousseau et « François Fénelon, » parce que tous deux avaient tenté d’ « amener leur siècle à la nature, » et qu’ils avaient ainsi mérité plus de gloire, une gloire plus durable, qu’un César ou qu’un Achille. Bernardin savait que cette dévotion de sacristain plairait aux mânes de Jean-Jacques ; car il se souvenait que Jean-Jacques « préférait Fénelon à tout. » « Si Fénelon eût vécu, lui avait un jour dit Bernardin, vous seriez catholique. » Et Jean-Jacques de répondre : « J’aurais cherché à être son laquais pour mériter d’être son valet de chambre. » Philosophia ancilla theologiæ, disait-on cinq siècles plus tôt ; le philosophisme allait-il à son tour se mettre en condition, au service de ce qu’il croyait être la théologie fénelonienne ? Il n’était pas jusqu’à l’auteur de la Religieuse qui, traitant Fénelon et Mme Guyon avec plus de respect que ne l’avait fait Bossuet, n’écrivit avec une surprise émue : « Il y eut un homme d’une honnêteté de caractère et d’une simplicité de mœurs si rares, qu’une femme aimable put, sans conséquence, s’oublier à côté de lui et s’épancher en Dieu. » Kl Diderot d’ajouter : « Mais cet homme fut le seul, et il s’appelait Fénelon. »

Il devenait « le seul, » l’unique, le seul prêtre, bientôt, que l’on acquittât du grief d’avoir été prêtre : ainsi s’infléchissait la courbe extraordinaire de cette destinée sacerdotale.

Soudainement un scandale éclate : c’est dans la salle de l’Académie, en 1771, le jour de la fête du pieux roi saint Louis. Le parti des philosophes, devenu maître de la Compagnie, a fait à l’Église cette politesse et ce mauvais tour, de mettre au concours l’éloge de Fénelon... Trois manuscrits ont été distingués : on va les apprécier, les lire, couronner l’un d’entre eux. D’Alembert ouvre la séance en montrant qu’il fallait « acquitter envers Fénelon la dette de son propre siècle. » De son temps, insiste-t-il, « Fénelon n’avait trouvé que chez nos