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et protestants, auxquels « Notre Mère » révélait la doctrine du pur amour, et l’assister comme secrétaire pour ses correspondances avec le « petit milord boiteux, » c’est-à-dire avec le marquis de Fénelon, neveu du lointain archevêque. C’était une opinion courante, à Cambrai, — et quoi qu’en pensent certains bossuétistes intransigeants, cette opinion n’était pas dénuée de justesse, — que l’âme de Mme Guyon, très distinguée, très pure, devait être connue par « expérience » et par une spirituelle proximité, et non pas seulement par ses œuvres imprimées, dont M. de Meaux s’était à pou près contenté pour asseoir son jugement [1]. Ramsay s’édifia fort dans cette expérience. Il trouva là nombre d’Anglais, parqués à Blois, comme dans un camp de concentration, par le Grand Roi leur ennemi ; et cette rencontre l’achemina vers un certain rôle politique, obscur à distance, et que déjà les contemporains jugèrent tel. A Rome, à Paris, à Saint-Germain, Ramsay travailla pour les Stuarts et avec les Stuarts, tantôt comme précepteur et tantôt comme publiciste ; mais plusieurs se demandaient s’il ne renseignait pas les Hanovre sur ce que faisaient les Stuarts ou sur ce qu’il préparait pour eux. Ce serait là, si le fait était prouvé, une attitude double ; et vous allez ressaisir la même dualité dans l’action religieuse de Messire André-Michel Ramsay.

Car il est rigoureusement exact de dire qu’entre la mort de Fénelon et sa propre mort cet extraordinaire homme d’action consacra sa fièvre spirituelle à une double diffusion, celle du nom de Fénelon et celle de la franc-maçonnerie, et qu’il mena de front les deux besognes, avec une notoire insouciance des anathèmes de Clément XII contre les sociétés secrètes. Il fut en 1728, à Londres, le fondateur d’une maçonnerie nouvelle, à laquelle il donna pour parrain Godefroy de Bouillon ; et les Bouillon, deux ans plus tard, prirent comme précepteur l’aventureux Ecossais qui avait ainsi coiffé leurs armes d’un triangle. Ramsay voulut que cette France où ses yeux s’étaient ouverts à la lumière catholique s’ouvrît à son tour aux lumières maçonniques :

  1. C’est l’un des résultats les plus précieux du livre de M. Ernest Seillière : Madame Guyon et Fénelon précurseurs de Rousseau (Paris, Alcan, 1918), d’avoir nettement débrouillé le nœud de la controverse du quiétisme en montrant que ce Fénelon n’aura guère connu de Mme Guyon que sa parole et ses lettres postérieures à 1688, et que Bossuet la jugera à peu près uniquement sur ses-travaux théoriques antérieurs à cette date (p. 95).