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qui ne permettait au pouvoir laïque ni d’intervenir indiscrètement dans les conclaves, ni de définir la foi, et pas davantage l’hérésie, ni de s’interposer entre les évêques et Rome, ni de vouloir être « plus chef de l’Église que le Pape ; » et lorsqu’on songe que sous Louis XV les difficultés confessionnelles vinrent beaucoup moins des décisions de Rome que des confuses ingérences de Versailles, on voit combien le souci même qu’avait M. de Cambrai des prérogatives romaines eût pu servir la paix religieuse dans notre pays.

Il y avait d’ailleurs un autre Fénelon, — c’est toujours la marque de ce grand homme, si j’ose ainsi dire, d’être plusieurs, — qui ne nous est connu, celui-là, que depuis deux ans, et qui faisait remettre à Clément XI une sorte d’examen de conscience d’un Pape, où le Vatican était sévèrement jugé, où la médiocrité des cardinaux, et celle des nonces, et celle de la scolastique romaine, était déplorée. Mais il concluait, au terme de ce message d’alarme : « Le jour où l’autorité du Pape ne sera plus que suave et bienfaisante, nous la voudrons tous infinie. » Et puis, dans une lettre d’envoi, il disait bien joliment, avec je ne sais quelle préciosité de conscience dont toujours se nuançait son esprit volontaire de soumission : « Cet écrit imprudent, je le désavoue et le condamne à l’égard de tout lecteur qui le verrait sans m’avoir pardonné d’avance [1]. » Il requérait son pardon, et puis consommait son péché, si c’en était un, laissant flotter sur ses lèvres fines un amusant sourire de repentance, où il y avait à la fois du prêtre, du grand seigneur et du Gascon.

Tel quel, malgré les périls auxquels l’exposait son genre de génie, et peut-être en raison même de ces périls, qui lui rendaient d’autant plus nécessaires certains appuis un peu robustes, il fut toujours soutenu par les Jésuites, avec la plus attentive fidélité. Des Observations anonymes provenant de l’entourage. de Bossuet notaient déjà, en pleine querelle du quiétisme, que « les Jésuites prenaient hautement à Rome le parti de M. de Cambrai, et à Paris secrètement. » — « Il a besoin d’eux pour se relever, disait le Père André, disciple de Malebranche, mais ils n’ont pas moins besoin de lui pour se soutenir... » C’était prêter des vues bien intéressées au théologien du pur amour,

  1. Ernest Jovy, Fénelon inédit d’après les documents de Pistoia (Vitry-Ie-François, 1917). — Henri Bremond, Correspondant, 25 mai 1918, p. 747-753.