Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de se soumettre et sur le degré d’orthodoxie d’un silence respectueux, tenaient en échec les papes successifs dans leur action contre le jansénisme. Fénelon renversa tout cet échafaudage par sa thèse doctrinale sur l’infaillibilité de l’Eglise en matière de faits dogmatiques et de textes dogmatiques, laquelle « ne fait, avec l’infaillibilité sur les dogmes, qu’une seule infaillibilité, complète et indivisible dans la pratique [1]. » La voie fut libre, ainsi, pour la bulle Vineam et pour la bulle Unigenitus : l’esprit des pasteurs et des fidèles à l’endroit de ces deux actes pontificaux se ressentit des courants théologiques qui prenaient leur source à Cambrai. Fénelon rendit à l’autorité du magistère même qui l’avait jugé le même service doctrinal qu’avait rendu Bossuet à l’autorité de la tradition ; et sa voix fut d’autant plus écoutée qu’elle était plus mesurée, plus nuancée.

Certains auraient voulu, dans les congrégations romaines, qu’il opposât au jansénisme la thèse de l’infaillibilité personnelle du Pape. Fénelon s’en abstenait, et Clément XI acceptait qu’il « ne prononçât point le petit mot, » puisqu’il « ne disconvenait point sur la substance. » Les lenteurs de Fénelon marquaient une étape vers la proclamation de cette infaillibilité personnelle, une étape qu’il valait mieux ne pas franchir trop vite, pour que les positions fussent bien assurées. S’il eût vécu, si Louis XIV eût vécu, certain compromis tout fénelonien entre l’hégémonie doctrinale du Pape et le consentement des évêques « par voie de jugement » eût sans doute pu s’esquisser avec succès dans le concile national que projetait le souverain vieillissant ; et le même prélat qui, vingt ans plus tôt, s’était humilié devant l’opinion publique comme la commune victime des deux cours, celle de Rome et celle de Versailles, se fût peut-être levé devant elles deux, avec leur commun consentement, pour épargner à l’Eglise de France les misérables perturbations religieuses dont souffrira tout le xviii^ siècle. Le capucin Timothée de la Flèche le pleurait au lendemain de sa mort comme « la seule personne habile et sûre à qui l’on pût confier les intérêts de l’Église et du Saint-Siège. »

Il avait son plan, pour les rapports entre l’Eglise et l’Etat ; les Tables de Chaulnes nous l’ont conservé Plan très audacieusement moderne et tout en même temps très strictement canonique,

  1. Voir Moïse Cagnac, Fénelon apologiste de la foi, p. 119-208 (Paris, De Gigord, 1917).