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Jésuites. On a discuté son attitude au moment de la condamnation des Maximes des Saints : d’aucuns n’ont voulu voir dans son humilité qu’une coquetterie, et dans ses inflexions d’obéissance qu’un jeu d’artiste. Il les agace, c’est évident, lorsqu’il fait de sa soumission une matière d’art, en chargeant un ciseleur de représenter un chérubin foulant aux pieds le livre des Maximes, sur un éloquent ostensoir [1]. Il fallait que d’âge en âge, sous les voûtes de sa cathédrale, devant les diocésains respectueux et courbés, ce rayonnant « soleil d’or » fit « monstrance » de la docilité fénelonienne, en même temps qu’il élèverait l’hostie. Tant de solennité dans l’humiliation surprend, lorsqu’on relit une certaine lettre au Père Le Tellier, de l’an 1710 sur l’ « écrasement » de « celui qui était exempt d’erreur. » Mais pourquoi conclure que Fénelon ne fut pas sincère ? Dites plutôt qu’il ne fut point limpide, et tous alors vous donneront raison : la limpidité fut un trait de sa prose beaucoup plus que de son caractère, et pour une fois ici le style n’est pas l’homme. On voit facilement trouble en le regardant, et c’est cela qui attire, et parfois irrite, mais derechef attire. Les Jésuites voient clair, eux, lorsque le prestige de Rome est en jeu : leur confiance en Fénelon nous doit donner à réfléchir. Élevons-nous donc, profanes que nous sommes, au-dessus de certains procédés de confesseurs, à l’indiscrétion desquels le pénitent des Maximes des Saints, quel que soit le degré de sa contrition, saura toujours se dérober ; du domaine des soupçons, remontons dans celui des faits.

Il n’y a dans l’histoire de l’Église qu’un seul prélat qui, depuis sa condamnation par le Saint-Siège jusqu’à sa comparution devant Dieu, dévoua constamment sa plume à la défense de cette autorité même qui l’avait frappé, et dressa tout un piédestal d’écrits, latins et français, théologiques et polémiques, pour affermir cette autorité, là rehausser, et lui créer enfin de nouveaux titres de puissance : ce prélat fut Fénelon. Chicanes sur la littéralité des cinq propositions, et puis sur leur sens réel, et puis sur les intentions personnelles de Jansenius, chicanes sur le fait et chicanes sur le droit, chicanes enfin sur la façon

  1. Sur l’authenticité du fait, voir Delplanque, Fénelon et la doctrine de l’amour pur d’après sa correspondance avec ses principaux amis, p. 440-443 (Lille, Giard, 1907), et Griselle, Fénelon, études historiques, p. 292-294 (Paris, hachette, 1911).