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On apporte à l’instant les journaux du soir. L’Empereur abdique en son nom et au nom de l’héritier du trône, il se désiste en faveur du grand duc Michel. L’aube d’un nouveau règne va poindre.

3 mars.

Le grand-duc Michel renonce a la couronne. Ce seul geste change toute la face des choses.

Aujourd’hui, pour la première fois, je suis allée de l’autre côté de la Neva avec la princesse G... Nous avons dû faire un détour énorme par le pont de la Cour. Le trafic sur le pont Troitsky est encore suspendu. Beaucoup de monde dans les rues. Le drapeau rouge flotte sur le Palais d’Hiver. Une quantité de gens sont dans la jubilation, étalent une fureur de libéralisme, affirment que telles ont toujours été leurs convictions et que jamais ils n’en ont eu d’autres. J’aime mieux l’attitude de mon vieux cocher, qui, fidèle aux anciens principes, hoche la tête à la vue de toutes ces nouveautés.


III. — UNE FAMILLE DE MINISTRES DE L'ANCIEN RÉGIME SOUS LA RÉVOLUTION


Enfin, je suis parvenue à retrouver la trace des Frédéricks. Après des vicissitudes sans nombre, voilà ces malheureuses femmes logées dans l’appartement des Voeikoff. Je les ai vues : l’impression a été navrante. La vieille comtesse, toujours malade, ignore que sa maison a été rasée. Elles m’ont frappée par la dignité de leur maintien, bien que la douleur la plus intense se lût dans l’expression de leurs regards, dans l’intonation de leurs voix. Je n’ai pu causer avec la vieille comtesse : trop souffrante et trop ébranlée, elle ne reçoit personne.

Ses deux filles m’ont fait le récit de leur douloureuse odyssée. Incapables d’imaginer que les événements dussent prendre cette tournure, l’idée ne leur est pas venue de déménager. Du reste, leur mère souffrait cruellement d’une otite. C’est ainsi qu’elles n’avaient pas pris la précaution de partir pour Tsarskoé-Selo, où du moins elles auraient trouvé un abri. Quand elles s’y décidèrent, il était trop tard. Envahie par les soldats et par la foule, déjà la maison était au pillage. Les émeutiers brisaient tout ce qui leur tombait sous la main ; puis, ils mettaient le feu.