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Suivons donc ces trois météores qui tendent vers le même but et unissent par se joindre en une seule étoile. Nous embrasserons ainsi d’un seul coup d’œil le fond tragique sur lequel se meuvent les apparitions charmantes évoquées par le grand peintre et les vérités radieuses qui dominent son œuvre.


I. — LA JEUNESSE DE LEONARD A FLORENCE. — L’ANGE AMOUREUX DE LA MADONE ET LE MONSTRE DE LA RONDACHE. — LE GÉNIE DE LA SCIENCE

Léonard est né dans la petite bourgade de Vinci, dont le modeste clocher pointe au sommet d’une colline, entre Pise et Florence. Paysage élégant et sévère. Derrière le coteau, la haute chaîne des Apennins ondule en replis nombreux et dresse ses cimes abruptes. De l’autre côté, la plaine fertile sourit en s’insinuant dans les montagnes qui la protègent. Çà et là, dans les blés, les vignes, les oliveraies, des cases rustiques. En cet horizon limité, aux lignes sobres et gracieuses, tout parle de travail paisible et d’activité heureuse dans un parfait équilibre. Disons tout de suite que l’auteur de la Vierge aux rochers et de la Joconde, qui fut l’inventeur du paysage reflétant un état d’âme, n’imita guère la nature toscane dans ses tableaux, mais s’inspira plutôt des vastes horizons de la Lombardie ou des gorges tourmentées des Alpes dolomites qui répondaient à ses émotions intimes.

Né en 1454, Léonard était fils d’un robuste notaire et d’une paysanne. Son père adopta l’enfant qu’il avait eu de sa maîtresse, puis épousa une bourgeoise. Celle-ci étant morte peu après, sans enfant, ser Piero traita son bâtard comme un fils légitime et lui fît donner une excellente éducation. Le petit Léonard était du reste si aimable et si intelligent qu’il eût enjôlé la plus jalouse des marâtres. Ser Piero habitant souvent Florence trouva les meilleurs maîtres pour son fils, qui les étonna tous par une incroyable facilité et par la vigueur précoce de ses conceptions. Il était également doué pour tout, et tout le passionnait : mathématiques, géométrie, physique, musique, sculpture et peinture. Son seul défaut était la multiplicité de ses dons et l’inconstance de ses goûts. Il passait avidement d’une étude à l’autre comme s’il voulait embrasser tout le savoir humain. Mais son talent le plus extraordinaire se manifestait dans la peinture. Ser Piero montra les dessins de