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chefs-d’œuvre ? N’a-t-il pas rencontré en France ses plus fervents admirateurs ? Enfin, par son double culte pour la science et pour l’art, n’est-il pas un précurseur admirable de ce qu’il y a de plus élevé dans l’âme moderne ? Pour toutes ces raisons, Léonard nous apparaît, aujourd’hui, comme la plus illustre incarnation d’une idée impérieusement actuelle, à savoir : l’intime et nécessaire coopération de l’âme italienne et de l’âme française. De légers nuages peuvent bien passer, de temps à autre, sur une telle alliance, à la suite de malentendus éphémères, mais elle est indissoluble parce qu’elle est fondée sur les plus hauts intérêts de l’humanité et sur la tradition gréco-latine, qui s’identifie avec celle de la civilisation.

Cette étude, où Léonard est présenté sous un jour nouveau dans sa psychologie secrète et dans le laboratoire profond de sa pensée, n’est qu’un modeste hommage avant tous ceux que des voix plus autorisées rendront bientôt, en deçà et au delà des Alpes, au peintre incomparable de la Joconde.


LA MÉDUSE ET LE MYSTÈRE DU MAL
LE CHRIST DE LA CÈNE ET LE MYSTÈRE DU DIVIN

S’il prenait fantaisie à quelqu’un d’expliquer le caractère, la vie et l’œuvre de Léonard par une vie précédente qui en serait comme la préparation, il devrait imaginer son incarnation antérieure sous la figure d’un de ces rois mages guidés par une étoile, qui, selon l’Évangile, vinrent offrir leurs dons au Christ nouveau-né et s’en retournèrent dans leur pays après avoir salué l’enfant divin. Cette légende pourrait du moins servir de prophétie à la carrière du grand artiste divinateur de l’âme moderne. Elle en serait comme le schéma et l’image symbolique. La pensée et l’œuvre de Léonard furent secrètement gouvernés par la hantise de trois profonds mystères : Le mystère du Mal dans la nature et dans l’humanité ; Le mystère de la Femme ; Le mystère du Christ et du verbe divin dans l’homme. Au premier abord, l’œuvre du Vinci, partagé et déchiré entre le tourment de la science et le rêve de l’art, apparaît comme un chaos troublant de fragments incomplets et disparates. Mais dès qu’on le regarde à la lumière de ces trois idées qui en sont les motifs conducteurs, elle s’éclaire, se rythme et s’ordonne en un tout harmonieux.