Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il en fut ainsi pendant treize jours. Pourtant il y eut la Marne. Pendant treize jours, nos armées refluèrent par les routes qu’encombraient les caravanes des paysans en fuite, et derrière elles les bourgs et les villages flambaient. Pourtant il y eut la Marne.


Que fut la Marne ? Pour le Haut-Commandement, la Marne fut une manœuvre prédite et décrite, dès le surlendemain de Charleroi, par l’instruction générale adressée aux armées dans la nuit du 25 au 26 août, ce fut la faute de von Kluck saisie et exploitée à la minute propice, ce fut une combinaison de très savante stratégie ; mais, pour la troupe d’infanterie, la Marne ne fut rien que le commandement de Demi-tour ! soudainement entendu. Or, la combinaison stratégique reposait sur le postulat qu’un tel commandement pourrait être exécuté après ces treize jours de l’horrible retraite, et c’était là, selon les précédents de l’histoire militaire, une hypothèse incertaine. Pourtant, au commandement de Demi-tour ! aussi correctement qu’une escouade sur le champ d’exercice, cinq cent mille hommes firent demi-tour, et au commandement de Marche ! marchèrent, et s’offrirent à la mort, et vainquirent. Et la combinaison stratégique construite par le maréchal Joffre fut belle, mais belle surtout peut-être parce qu’il l’avait fondée sur un acte de foi aux vertus de notre infanterie. Que sa foi n’ait pas été déçue, c’est là la merveille.

Elle s’explique. Nos armées avaient retraité décontenancées plutôt que découragées, irritées, sans comprendre, comprenant seulement (et à bon droit) que quelque maléfice obscur, déloyal, avait été jeté sur elles. De nombreuses divisions n’avaient même pas été engagées. D’autres, celles de Guise, par exemple, décimées certes, avaient goûté la bonne saveur de la victoire. Et celles même qui avaient le plus souffert n’avaient aucunement trouvé dans les procédés de combat de l’ennemi, — à part quelques-uns, comme l’emploi des mitrailleuses dans l’offensive, — de quoi leur faire reconnaître la prétendue supériorité technique de l’infanterie ennemie : à Dinant, à Maissin, à Gozée, n’avait-on pas refoulé Saxons et Prussiens ? « Ils sont bien forts, » disait-on ; mais le disant, on gardait conscience de sa propre force ; et puisque,