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Oui, dans cette guerre qui souvent sembla se ralentir et piétiner sur place, tout s’est transformé au contraire, et dans les périodes même les plus stagnantes en apparence, tout évoluait, l’armement, les doctrines, les techniques, et tout s’écoulait avec la plus déconcertante rapidité. Et la loi la plus nette de ce perpétuel écoulement l’ut que l’armée française a pâti et profité tout ensemble des idées de l’armée allemande et réciproquement, et que chaque découverte de l’une a tiré son principe d’une découverte de l’autre. Seules constituées en leur force dès le mois d’août 1914 et alors presque seules en présence, toutes deux ont vécu, depuis ces temps lointains, d’une étrange vie commune : elles s’étreignaient dans leur sang, mais s’observaient aussi d’un regard lucide, et leur étreinte fut comme une intime et monstrueuse collaboration. Si l’une des deux, se complaisant en elle-même, avait cessé, fût-ce une fois au cours de ces quatre ans et pour quelques semaines seulement, de guetter les progrès de l’autre, c’en était fait d’elle : l’autre l’eût presque aussitôt maîtrisée. En ces quatre ans, l’armée française n’a pas été maîtrisée : c’est elle, au contraire, qui, peu à peu, a pris l’ascendant sur sa rivale, l’a dominée, et finalement l’a vaincue. Cette simple remarque suffit à justifier, en son intention du moins, le mémento succinct qui va suivre des transformations progressives de l’armement et de la doctrine tactique de notre infanterie ; rien n’est plus propre que cette chronologie pathétique à manifester l’effort de la France en armes.

Mais comment constituer en dignité et en autorité un tel exposé ? Aurait-il suffi que celui qui osa l’entreprendre fût un de ces Français, semblable à tant de Français, qui, pour avoir vécu quatre ans d’un communiqué à l’autre et pour, avoir sans cesse réfléchi aux choses de la guerre, ont fini par se créer peut-être comme un commencement de compétence ? Lui aurait-il suffi d’avoir étudié page à page tant de comptes rendus d’opérations et tant de journaux de marches ? Même lui aurait-il suffi, laissant les papiers pour regarder les âmes, d’avoir visité dans leurs cantonnements et aux lignes, aux abords du Chemin-des-Dames ou dans l’âpre secteur de la Butte-du-Mesnil, deux très belles divisions d’infanterie, les Bretons et les Vendéens de la 21e, les Gascons, les Basques et les Béarnais de la 36e, d’avoir recueilli leurs souvenirs, et d’avoir