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dans cette considération toujours vraie une raison de plus de regretter que les premiers ministres de l’Entente n’aient pas abandonné à d’autres le déblaiement et le gros œuvre, en ne se réservant, dans la construction de l’édifice, que je couronnement. Achevé et réussi, on ne leur en eût pas fait moins d’honneur ; manqué ou retardé, on n’eût accusé que le maçon, et non l’architecte. Il n’y a déjà pas trop de confiance, de révérence et, si l’on le veut, d’illusion sur la terre : prenons garde à tout ce qui peut en diminuer la dose.

En somme, avec toutes ses commissions visibles ou invisibles, ses sous-commissions et ses comités, la Conférence est une lourde machine, dont les mouvements, à supposer qu’ils ne se contrarient pas et ne s’annulent pas réciproquement, ne peuvent être que très lents. La mauvaise méthode ou l’absence de méthode que nous avons dénoncée dès les premières séances en a poussé les défauts à l’état dangereux. Comme nous le disions alors, comme nous n’avons depuis lors cessé de le dire, il y avait une question principale, cardinale, sur laquelle roulaient, en quelque façon, toutes les autres questions. On ne devrait pourtant pas oublier que, dans la guerre qui vient de dévaster et de désoler trois continents, le monde a été d’un côté, et l’Allemagne de l’autre : l’Allemagne suivie de ses comparses et de ses complices, mais l’Allemagne d’abord ; et que, sans l’Allemagne, ils n’y eussent point été, et que sans l’Allemagne il n’y eût pas eu la guerre, et que par l’Allemagne il y a eu la guerre, et que par l’Allemagne il y aura toujours la guerre.

Il n’y avait donc pas de détours à faire, pas de biais à prendre, pas de manœuvres ni de circonvolutions. Il fallait aller droit au but, tirer au corps, viser à la tête ou au cœur. Si l’Allemagne est la guerre, la paix était la soumission de l’Allemagne. La question à résoudre primordialement, préalablement, était la question de la grandeur et de la la force allemandes, c’est-à-dire tout net la question des frontières de l’Allemagne. Or, deux mois durant, la Conférence s’est occupée de tout, excepté de cela. Elle a paru estimer plus habile, en tout cas, plus commode, de commencer par l’accessoire et de différer le principal. Elle s’est lancée dans le jeu des statistiques, et, les appliquant en principe des nationalités, s’est ingéniée à tracer d’après elles les frontières d’États qui n’existent pas encore. Ce n’est rien, mais elle a pétri les limbes et sculpté les nuées. Quant à l’Allemagne, qui, elle, existait et n’existait que trop, elle subsiste, elle persiste, elle existe autant et plus que jamais.

On a commis cette première faute de se montrer disposé à traiter