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les plus utiles. Le peu qui en a percé hors de l’ombre discrète où ils se tiennent permet de dire que la documentation fournie par eux est remarquable, et que, depuis le Congrès de Westphalie où Denys Godefroy assista de sa science d’Avaux et Servien, jamais Congrès n’avait été aussi sérieusement préparé. Si bien qu’il serait souverainement injuste de prétendre que soit la compétence, soit la décision, soient absentes de la Conférence de Paris. Seulement, la compétence est en un lieu, et la décision en un autre ; elles ne se rencontrent pas toujours et ne se combinent pas souvent. Il serait injuste encore, ou du moins excessif, de poser en axiome que plus on monte d’un degré vers le pouvoir de décision, plus on s’enfonce d’un degré vers l’incompétence. Mais n’est-il pas évident, et du reste naturel, que ceux qui ont, au sommet, à trancher toutes les questions, — quand il y a tant de questions posées que c’est l’univers même qui est sur le tapis : l’univers, l’ensemble des choses, — n’est-il pas légitime qu’ils ne les possèdent pas toutes, et sans doute en ignorent tout à fait quelques-unes, si, au surplus, le spécialiste qui en possède parfaitement une ignore à peu près le reste et n’est le maître que de celle-là ? C’est précisément, peut-on croire, lorsque son fils Jean se rendit à Munster comme plénipotentiaire de la reine de Suède que le chancelier Oxenstiern prononça son mot fameux : « Allez voir, mon enfant, par combien peu d’esprit le monde est gouverné ! » On ne peut assurément pas dire d’une assemblée qui réunit ces talents éclatants, le Président Wilson, M. Clemenceau, M. Balfour, M. Orlando, M. Sonnino, M. Venizelos, pour ne citer que les plus célèbres, qu’elle gouverne ou réorganise le monde par peu d’esprit. Bien plutôt, faut dire que l’esprit, si puissant qu’il soit, a ses limites, et que, suivant un vers passé en proverbe, tout homme a vu le mur qui le borne.

Mais ce mur qui borne l’esprit des gouvernants, il n’est pas bon de le laisser toucher aux peuples. Même quand la tâche est immense, et quand personne, quand le plus grand parmi les vivants et parmi les morts n’y suffirait pas ou n’y eût pas suffi, il n’est pas bon de révéler aux peuples que leurs gouvernants d’aujourd’hui n’y sont pas pleinement et parfaitement égaux, car les hommes sont plus frappés de l’inégalité de l’artisan que de l’immensité de la tâche, et le prestige se perd, qui est un agent d’ordre dans la mesure où il est un élément de force. Le cardinal de Retz parlait pour tous les temps et pour tous les régimes : c’est une imprudence, de déchirer le voile dont s’enveloppent les gouvernements au regard des peuples. Et nous trouvons