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En face du roi, le vagabond, le mendiant, le voleur de grand chemin, Aïrolo. Antithèse ou affinité ? « Le roi : Je suis un potentat. — Aïrolo : Moi, je suis un voleur. — Le roi : On peut s’entendre. » Le parallèle est traité gravement, abondamment, et il va sans dire qu’il ne tourne pas à l’avantage du roi. Cet Aïrolo, né dans la foret et qui y a toujours vécu, en est une sorte d’émanation symbolique et d’âme errante. Il se confond avec elle, comme avec la mer voisine. Il rit avec le flot, il pleure avec l’écueil ; il se mêle aux choses et il y plonge comme le Faune engagé dans sa gaine. Un courant trouble et puissant de poésie naturaliste le soulève. Éloigné des villes, étranger aux lois qui régissent les sociétés policées, rebelle à leurs conventions, il vit à l’état de nature et fait tout ce qui concerne cet état. Frère des oiseaux, il en a l’impudeur. Il est amoral, ce qui ne vaut guère mieux qu’immoral. Et plus que tout ce que dessus, il est cynique.

Ce drôle a une espèce de comique qu’il définit lui-même


Un comique grossier qui plaît aux basses classes.


Il ne plaît guère aux bourgeois que nous sommes et qui avons fait nos études. Le pire défaut de cette gaieté énorme et lourde est qu’elle n’est point gaie. Elle ne nous fait pas rire, quoiqu’elle y travaille avec persévérance et s’y applique laborieusement. Tout le second acte de Mangeront-ils ? est conçu dans cette note de plaisanterie pesante. Le roi, pour l’avoir entendu dire à la sorcière, croit, dur comme fer, que sa vie est étroitement liée à celle d’Aïrolo. Que l’un se blesse, l’autre saigne ; que celui-ci crève, celui-là meurt du même coup. Voilà notre monarque obligé de faire sa cour au chemineau, partagé entre le désir de l’étrangler et la crainte de signer ainsi son propre arrêt de mort. Au tour d’Aïrolo de s’amuser et de jouer avec son compère le roi, comme le chat avec la souris. Mais il n’a ni l’agilité ni la légèreté du chat : ses grâces seraient plutôt celles de l’éléphant.

Et il y a dans Mangeront-ils ? la sorcière Zineb. Et le rôle de Zineb, la sorcière, est splendide. Elle a vécu cent ans, la vieille gueuse. Elle aussi, elle est la fille de la forêt, l’hôtesse de la bonne nature. Maintenant l’heure est venue pour elle de mourir. Et elle veut une mort pareille à celle de ses frères les animaux, la mort comme les loups et comme les lions, dans le silence et dans l’obscurité. L’animal se cache pour mourir : il lui faut la solitude, l’ombre propice à l’accomplissement du grand mystère. Car c’est la loi suprême de la nature, que la mort y soit la condition de la vie, que la vie y sorte de la mort. Cet évanouissement qui se change en renaissance, les