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suicide. L’auteur de Chatterton, si les critiques l’importunaient, tolérera-t-il les députés ? Il publia sa réplique dans la Revue, sous la forme d’une lettre à Buloz. On ne l’a donc pas compris ? Il a dit et bien dit que le suicide était un crime religieux et social, mais qu’il fallait montrer à la société, pour la toucher, la torture des victimes que fait son indifférence : « Chaque mot de cet ouvrage tient à cette idée et demande au législateur, pour le poète, le Temps et le Pain... Il est triste de parler pour ceux qui ne savent pas entendre et d’écrire pour ceux qui ne savent pas lire. » Le législateur nommé Charlemagne se le tint pour dit ; et le critique nommé Planche ne devint pas un admirateur de Chatterton et de l’auteur de Chatterton.

Il y a d’autres bisbilles relatives à ce poète, et que raconte Mme Marie-Louise Pailleron, et qui étonnent, venant de lui. Mais il était d’âme inquiète : ses plus beaux poèmes sont frissonnants de cette inquiétude, que dissimule quelquefois sa dédaigneuse fierté. Puis il aboutit à une philosophie du silence et de la solitude : et plus il est farouche en définitive, plus on aperçoit qu’il a souffert en compagnie des hommes et des femmes. Son désespoir est une résignation tardive.

Son désespoir, ce n’est pas d’avoir été par Victor Hugo, sacrifié à Victor Hugo ; ce n’est pas d’avoir été dénigré par Gustave Planche et par M, Charlemagne. Sans doute ne fait-il pas à Gustave Planche ni à M. Charlemagne, ni même à Victor Hugo l’honneur de l’immense chagrin qui lui a dévasté la terre et le ciel. Pourtant ces mesquins désagréments l’ont touché. Il ne le nie pas ; il ne le dissimule pas à lui-même. Et il rêvait, pour le poète, une vie tout autre, dégagée de la médiocrité quotidienne. Mais, lui, sa poésie est née de la douleur que n’épargnent au poète ni le législateur ni la dure condition des hommes sur la terre. Et Buloz tâchait de le consoler des menus ennuis.

Une belle et bonne figure, ce Buloz ! Il était Savoyard, né le troisième jour complémentaire de l’an XI de la République : c’est le 20 septembre 1804. Sans fortune, le huitième enfant d’une famille honnête et confinée là-bas, orphelin dès sa dixième année, il vient à Paris ; son frère aîné le met à la pension, rue des Écoles : et cette pension le mène à Louis-le-Grand. Le jour de son arrivée au collège, un camarade l’éborgne, d’un coup de poing. Mais le nom de ce brutal, ni le proviseur ne l’a su, ni personne, François Buloz ayant juré à lui-même qu’il ne le dénoncerait pas. Il avait de la volonté, depuis l’enfance, et de naissance. Toute sa vie est l’histoire de sa volonté. Il