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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

conduisit chez une de nos anciennes compagnes de captivité, et nous pûmes nous reposer un peu. Nous pensions partir pour Bruxelles le jour même, mais on nous fit observer très justement que nous courions risque d’être arrêtées et internées à nouveau. La comtesse et moi étions en effet toutes deux condamnées à perpétuité. Nous résolûmes d’attendre le lendemain sans sortir afin de pouvoir gagner la Hollande, si l’armistice n’était pas signé.

Le lendemain lundi 11 novembre, on nous annonça la signature de l’armistice, nous étions libres. Les voies ferrées étant réquisitionnées pour les transports militaires, nous dûmes nous rendre à pied de Louvain à Tervueren, et nous rencontrâmes des convois ennemis rentrant en Allemagne. Quelle différence entre l’aspect de ces armées en retraite et l’ordre, la discipline, l’arrogance des jours de l’invasion ! Les soldats sales et boueux étaient affalés sur des caissons de canons où ils avaient entassé (derniers vols) des cages à poules et à lapins, des matelas, des chaises. Les voitures de ravitaillement alternaient avec de vieilles carrioles volées au dernier moment, et que côtoyaient des troupeaux de vaches que ces bandits emmenaient avec eux. La débâcle ! Les soldats portant la cocarde rouge ne saluaient plus leurs chefs. Ils avaient allégé leurs bagages de tout ce qu’ils pouvaient vendre, et, à leur départ, ils offraient un fusil pour un mark, laissant à qui en voulait des masques pour gaz asphyxiants ; je vis dans une maison particulière une mitrailleuse et tout ce qu’il fallait pour la servir, laissée par eux, en souvenir ! Un seul sentiment : l’insouciance succédant à la lassitude du cauchemar !

Par étapes, tantôt en voiture à charbon, d’autres fois en auto, je regagnai la France, où la joie de retrouver les miens, jointe à l’ivresse de la victoire, m’eut bientôt consolée des angoisses de ces quatre années…


Louise Thuliez.