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pect trouvaient la guerre trop longue, la paix trop éloignée.

Dans la prison des hommes, voisine de la nôtre, il y avait, outre les prisonniers politiques, des prisonniers de droit commun, et environ trois cents déserteurs allemands. Or, ces derniers, divisés en deux équipes, travaillaient dans des usines de munitions. Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1918, l’équipe de nuit parvînt à s’évader, après avoir bousculé l’officier de service. Le lendemain, à une heure de l’après-midi, ils revinrent, renforcés par les marins révolutionnaires de Kiel, ouvrirent les portes, délivrèrent d’abord leurs camarades déserteurs, puis les prisonniers de droit commun, puis les prisonniers politiques. C’est alors que ces derniers proposèrent de nous délivrer aussi.

Vers trois heures de l’après-midi, j’entendis un grand cri dans le hall de la prison. Comme je m’occupais de la tenue des livres et que pour cette raison, ma porte restait ouverte, je sortis, croyant à un accès de folie d’une de mes compagnes, le fait n’était pas rare. Grande fut ma surprise de voir un prisonnier, suivi de quelques soldats, tous brandissant des clés : « Mesdames, habillez-vous ; nous sommes en république : vous êtes libres, » nous crièrent-ils ; et ce disant, ils se mirent à ouvrir toutes les portes, répétant aux prisonnières ahuries : « Habillez-vous vite, vous avez un train à six heures pour Cologne. » Nous avions si souvent rêvé de liberté, que nous n’y pouvions croire. Les surveillantes retiraient toutes leur bonnet blanc, symbole d’une autorité qu’elles avaient déposée en même temps que leurs clés, réclamées par les prisonniers et soldats qui continuaient à ouvrir les portes, tandis que les prisonnières allaient chercher au dépôt leurs valises et leurs vêtements. Toutes portes ouvertes, la prison ressemblait à un immense bazar, ce n’étaient que malles, valises que soldats et surveillantes nous aidaient à descendre.

Au secrétariat, c’était un autre spectacle. Debout devant un coffre-fort, la secrétaire, le sourire aux lèvres (ce qui ne lui arrivait jamais, elle était particulièrement haineuse et méchante avec nous) s’efforçait de faire accepter aux prisonnières un acompte sur les sommes déposées entre ses mains. Certaines d’entre nous ne touchèrent que 40 à 50 mark sur les 800 ou 1000 qu’elles avaient en caisse. Les surveillantes s’efforçaient de nous faire oublier, par d’obséquieux sourires, leurs sévérités