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Le mois suivant s’éteignit Lucienne Dethier, de Monthermé (Aisne). Longtemps elle avait dû travailler aux briques, c’était au-dessus de ses forces. Elle dut s’aliter, se plaignant de violentes douleurs dans la tête ; elle avait de fréquents vomissements de sang ; mais le docteur, la déclarant hystérique, ne tenait aucun compte de ses plaintes. Une nuit que je la veillais, elle eut une hémorragie si violente, que je crus sa dernière heure arrivée. Elle vomissait le sang à flots, et ce ne fut qu’au cinquième torchon plein de sang, que je pus obtenir enfin qu’une surveillante allât chercher l’infirmière allemande. Le médecin ne put retenir sa surprise le lendemain à la vue de tant de sang perdu : la malheureuse s’éteignit peu après. Le lendemain de sa mort, nous apprîmes que son mari était lui-même décédé deux mois plus tôt à Sedan où il était prisonnier ; ils laissaient un orphelin de sept ans.

Toutes celles de nos compagnes qui furent transportées au lazaret n’y arrivaient que pour y mourir, sans recevoir aucun soin du docteur. Il nous fut toujours refusé de conduire à leur dernière demeure celles que nous devions laisser en terre d’exil, et qui toutes firent généreusement le sacrifice de leur vie pour leur Patrie et ses défenseurs.

Le respect des petits et des faibles, si grandement en honneur dans notre race française, est inconnu en Allemagne. Autant l’Allemand est rampant devant qui lui résiste, autant il est brutal et arrogant devant ceux qui ne savent pas se défendre. Aussi nos pauvres compagnes, que l’âge et l’ignorance mettaient dans un état d’infériorité, étaient des victimes toutes désignées pour les injustices et les travaux accablants. La directrice de la prison avait à l’égard des pauvres et humbles prisonnières une attitude bien différente de celle qu’elle avait pour d’autres en qui elle reconnaissait une supériorité sociale, intellectuelle ou même physique. Les autres surveillantes faisaient de même, et après avoir fait « faction » au passage du Herr Direcktor, elles se dédommageaient sur les prisonnières de la contrainte que leur imposait la discipline allemande.

Nous avions des nouvelles de l’extérieur par les quelques journaux dont on nous permettait la lecture : c’étaient la Gazette des Ardennes, la Gazette de Lorraine, la Belgique et quelques journaux allemands. Chacun sait ce que valaient ces gazettes et a pu lire les mensonges dont elles étaient remplies. Nous