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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.


AUX TRAVAUX FORCÉS

Le 1er décembre 1916, on introduisit dans la prison un genre de travail qui, par les matériaux employés comme par la forme qu’il affectait, inquiéta notre patriotisme. Nous soupçonnâmes qu’il avait un but militaire. C’étaient des têtes de grenades à main, courts tubes de 6 à 7 centimètres de long, de forme cylindro-conique, fermés à l’une des extrémités, filetés à l’autre, qu’on devait enduire intérieurement d’une sorte de vernis et recouvrir à la partie profonde d’une mince rondelle de cuivre ou de bronze d’aluminium. À la promenade du matin, des échantillons circulèrent : nous conseillâmes à nos compagnes de protester auprès de la direction. En effet, l’une des prisonnières refusa le travail, et Louise de Bettignies ayant été accusée d’être l’instigatrice de ce refus, on la mit au cachot. Le lendemain dimanche, à la chapelle, Mlle Blankaert, de Bruxelles (condamnée à mort en 1916), dans une allocution vigoureuse, enjoignit à ses compagnes de cesser un travail exécuté contre les nôtres ; à son tour, on la conduisit au cachot. Il fallait à tout prix obtenir la cessation du travail. La princesse de Croÿ, la comtesse de Belleville s’y employèrent avec moi. J’allai trouver le directeur et soutins que notre titre de prisonnières politiques de guerre nous autorisait à refuser tout travail qui devait servir contre notre patrie. Sur sa réponse que nous n’étions que des « travaux forcés, » par conséquent obligées d’accepter tout travail imposé, je réclamai le papier nécessaire pour écrire à Berlin. J’adressai en effet une lettre au ministre de l’Intérieur dont nous dépendions, lui exposant les faits, la mise en cachot de nos compagnes, protestant de notre qualité de filles, sœurs, épouses ou mères de combattants, qui devait nous interdire tout travail constituant un crime contre notre patrie, nos foyers, notre sang.

Le directeur prit connaissance de ma lettre et me demanda si j’en maintenais l’expédition, me prévenant qu’une punition s’ensuivrait. Forte de notre droit, je maintins l’expédition. La lettre fut retenue à Cologne d’où l’ordre vint de cesser immédiatement le travail, et je ne fus pas punie. Toutefois, pour châtier notre rébellion, nous fûmes jusqu’au 25 décembre remises au régime des promenades en silence et avec distance de