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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

passant qui, se recommandant d’un ami, avait sollicité un abri pour la nuit. C’était un espion belge : la pauvre femme n’en savait rien, et elle allait payer sa charité d’une captivité qui dura trois années. Nous eûmes la bonne fortune de profiter d’un wagon ordinaire, de sorte que nous pûmes, en traversant la pittoresque région comprise entre Liége et Aix-la-Chapelle, emplir nos yeux de lumière et de verdure, ne prévoyant pas quand nous retrouverions pareille jouissance. À six heures du soir, nous étions à Siegburg. Les prisonnières n’ayant pas de lumière dans leur cellule, l’obscurité la plus profonde régnait dans la cour de la prison. On nous ouvrit une cellule dans laquelle on nous apporta un deuxième matelas, et sans rien nous donner à manger (nous avions eu un bol de soupe à Herbestal), on referma la porte, nous laissant dans l’obscurité. Le lendemain, les surveillants, les membres de la direction vinrent tour à tour nous examiner. J’étais une compagne de miss Cavell ; c’était un appât pour leur curiosité ; le nom de l’héroïne anglaise était bien connu en Allemagne. Quand un haut personnage allemand visitait la prison et entrait chez la comtesse de Belleville ou dans ma cellule, dès que le directeur avait annoncé : « Compagne de miss Cavell, » l’interrogatoire cessait : on était édifié sur notre culpabilité. Je quittai mes vêtements civils pour prendre le costume de prisonnière que je gardai toujours dans la suite, même quand on fut autorisé à reprendre les vêtements civils.

À mon arrivée, il y avait encore des criminelles allemandes dans la prison et nous avions pour compagnes des femmes ayant tué mari ou enfant. Peu à peu, on les transféra dans d’autres prisons ; la dernière partit en mai 1917.

Siegburg est une petite ville située à une demi-heure de Bonn. Le Bruckberg, qui en est une partie importante, comprend la prison cellulaire des hommes, celle des femmes, et le groupe des habitations du personnel de ces deux maisons pénitentiaires. Ces prisons ont le titre de Königliches Gefangniss, c’est-à-dire : prison royale. Elles sont entourées d’usines qui, pendant la guerre, produisaient des munitions, et c’est pour cette raison, je crois, qu’on garda toujours à Siegburg les prisonnières intéressantes par la durée de leur peine, et par leur situation sociale. Là, se trouvaient en effet des Belges et des Françaises de marque : la princesse de Croÿ, la comtesse de