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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

me suicider. J’eus beau protester que j’étais trop fière d’être prisonnière pour attenter à mes jours, je dus garder l’immonde gamelle, et finis par m’en servir. Mais je ne pus jamais me résigner à dormir sur la paillasse dégoûtante qui garnissait la planche. Chaque soir, j’étendais une couverture de cheval sur cloportes et planche, et je me couchais après avoir disposé une de mes valises en guise d’oreiller. Il faisait froid ; on était en décembre, et, malgré la serrure solide, la porte joignait mal ; de plus, la lumière venait parcimonieusement quelques heures par jour ; le soir, ni allumettes, ni lumière ; jamais de promenades. Cela dura sept semaines. J’eus à subir deux interrogatoires seulement ; et je m’aperçus alors du tort que j’avais eu de signer à Bruxelles mes dépositions en allemand. Mes réponses ne concordant pas avec les dépositions que l’auditeur avait en mains : « Vous n’avez point dit cela à Bruxelles, et vous avez signé, » disait-il. Sur mes protestations, il reprenait la traduction, ajoutant : « Ah ! peut-être est-ce bien cela qu’on a voulu écrire ici. »

Le 20 décembre, à sept heures et demie du matin, on vint m’annoncer qu’à huit heures nous devions partir pour le conseil de guerre. Il se tenait à la mairie de Cambrai dans une des salles du premier étage. Je rencontrai dans un couloir Bergan et Prinkhof, nos policiers de Bruxelles ; le premier décoré de la croix de fer depuis la condamnation de miss Cavell. Nous étions six accusés, l’interrogatoire dura jusqu’à midi. L’auditeur militaire prononça le réquisitoire, en conclusion duquel il demandait la peine de mort pour tous les accusés. Nous fûmes défendus par de jeunes avocats allemands en uniformes militaires. Rangés autour d’une table ronde, se levant quand leur tour de parler était venu, ils faisaient l’effet de jeunes étudiants en droit, interrogés par leur professeur. Ils demandèrent le minimum de peine pour chacun des accusés, et nous fûmes conduits en prison.

J’avais à nouveau demandé d’être prévenue de l’exécution dès la veille ; l’officier auquel je m’étais adressée m’avait promis de tenir compte de ce désir, mais malgré cela, je craignais fort de n’être prévenue qu’à l’arrivée du peloton. Trois jours passèrent. Le soir, j’écoutais anxieusement les bruits proches de ma cellule, croyant qu’on venait me prévenir, et aux premières lueurs de l’aube, je me reprenais à espérer.