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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

dissais cette singulière surveillance, mais sans y attacher trop d’importance, la croyant en vigueur près des autres prisonniers et ignorant le régime des condamnés à mort ; M. Severin, un de mes coaccusés que je revis plus tard, me conta qu’il avait passé sa nuit à écrire, croyant qu’il allait être fusillé au petit jour. Je m’étais promis de demander la nuit suivante qu’on ouvrit carrément le guichet, afin d’éviter le crissement insupportable du judas ; j’allais avoir bientôt l’explication de cette surveillance insolite.

Le lundi matin, après m’avoir donné la Sainte Communion que depuis quelques jours nous étions autorisés à recevoir, l’aumônier me dit : « Demandez le courage pour vous et vos compagnons. » Ce que j’entendis sans émotion, puisque la sentence était prévue.

À quatre heures, c’était le lundi 11 octobre, ma porte s’ouvrit brusquement et un gardien m’annonça : « Préparez-vous, on va vous donner lecture des sentences. » Un quart d’heure après, nous étions tous les trente-cinq réunis au prétoire de Saint-Gilles où nous trouvâmes l’auditeur militaire, Stœber, son interprète, l’aumônier militaire et quelques officiers supérieurs. J’étais entre miss Cavell et la Comtesse de Belleville. L’auditeur militaire lut d’abord les condamnations en allemand ; nous n’y avions rien compris. Avec la brutalité caractéristique de la race teutonne, l’interprète nous refit cette lecture en français appuyant à dessein sur le mot mort, qu’il jetait immédiatement après le nom des condamnés :

Philippe Baucq, mort.

Louise Thuliez, mort.

J’étais préparée à cette éventualité ; je pensai immédiatement à mon père et à ma mère décédés tous deux et que j’allais enfin revoir. Je suis catholique. La pensée de revoir mes parents enlevait toute amertume à celle de la mort prochaine, et ce n’est que quelques minutes plus tard que je songeai à ceux qui restaient et me pleureraient. Je ne m’arrêtai d’ailleurs pas à la considération de mon sort, et je fus assez maîtresse de moi pour suivre avec attention la fin du verdict :

Miss Cavell, mort.

Louis Severin, mort.

Comtesse de Belleville, mort.