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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

l’impossibilité de donner mon adresse à Bruxelles, parce que, logeant dans le quartier de miss Cavell, j’aurais ainsi fait connaître quelques-uns de mes collaborateurs. Les policiers trouvèrent étrange cette impossibilité pour une femme de donner son adresse, et pendant la guerre ! Ils me délivrèrent, dirent-ils en ricanant, « un billet de logement pour Saint-Gilles. » Saint-Gilles est la prison cellulaire de Bruxelles. Nous y arrivâmes vers 3 heures du matin, et de toute la conversation de nos introducteurs, je ne compris que le mot « endlich, » « enfin. » Nous étions au 1er août 1915. Miss Cavell fut arrêtée la même semaine, puis M. Cappiau, puis tout le groupe du Borinage, y compris la comtesse de Belleville. Notre prévention dura jusqu’au 7 octobre avec des interrogatoires fréquents et pénibles. L’un des policiers instruisant notre affaire, le trop célèbre Heinrich Pinkhof, avait été chef d’espionnage à Paris. Représentant une grosse maison de parapluies, il avait visité les grandes villes de l’Est et du Nord, et connaissait parfaitement Lille et ses environs. Il parlait le français très correctement, sans accent. L’autre policier, Bergan, parlait très mal notre langue. Nous faisions nos dépositions en français, elles étaient immédiatement traduites en allemand ; on nous les relisait en français avant la signature, mais très souvent le texte différait de la déposition primitive ; à nos observations les instructeurs répondaient que cela tenait à une erreur de traduction, et reprenaient la lecture dans le sens de la correction indiquée. Ce fut un de nos grands torts de signer nos dépositions en allemand.

J’avais, au moment de mon arrestation, dans mon sac à main, mon carnet d’adresses dont j’avais heureusement travesti les noms, numéros et lieux de domicile : Saint-Quentin se trouvait être Saint-Ouen, et Caudry y était appelé Tulle, etc… De mon mieux, j’expliquai que toutes ces adresses de Saint-Ouen, Tulle, etc… étaient celles des familles de ceux que j’avais fait passer. Malheureusement, quatre de nos hôteliers de Bruxelles furent arrêtés sur les indications de ce carnet ; parmi eux, la patronne de l’hôtel où j’avais payé une heure avant mon arrestation cette facture de 56 francs, portant le détail : pour 6 hommes pendant 4 jours.

Confrontée avec le quatrième, je déclarai que je m’étais présentée chez lui comme dame de l’Armée du Salut, et que je