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une seule personne aurait été arrêtée ; et les hommes, au signal convenu, auraient pris la fuite, sans être abandonnés à leur malheureux sort.

Quand les routes nous étaient inconnues, nous avions recours à des contrebandiers qui guidaient notre marche. Mais ces hommes habitués au danger manquaient souvent de prudence. La seule fois où nous osâmes confier à l’un d’eux une expédition de nuit avec dix hommes, il se fit arrêter ; la troupe se dispersa : tout fut à réorganiser.

J’ai dit comment les hommes étaient généreusement accueillis au château de Bellignies, et pourtant, là aussi, le danger était extrême. Une nuit, à mon arrivée (il était trois heures du matin), après avoir installé les hommes dans leur dortoir, j’avisai la princesse de Croÿ de la présence de quatorze Anglais. Hélas ! les Allemands perquisitionnant dans le pays, la princesse avait été officieusement informée que le château serait visité le matin. Il était trop tard pour emmener les hommes : le jour commençait à poindre. Par bonheur, le château possédait une tour au rez-de-chaussée de laquelle se trouvait une salle ronde, lambrissée et à plafond cintré : entre le cintre du plafond et la tour existait un étroit couloir. Cette cachette avait été utilisée déjà pour les officiers ou soldats cachés par les châtelains. Vers huit heures du matin, nos hommes gravirent l’échelle accédant à ce couloir ; quand ils furent tous installés, on retira l’échelle, l’entrée fut masquée par une planche verticale contre laquelle on disposa quelques rayons garnis de vieilles chaussures ; le lambris reprit sa place primitive, une table masqua les jointures et les officiers allemands passèrent et repassèrent dans la salle sans soupçonner ce que ces lambris cachaient. À l’extérieur, les soldats allemands causaient sous les créneaux aérant le couloir, et la perquisition s’acheva sans que rien fût découvert.

Ayant débarrassé Maroilles et ses environs de presque tous les soldats qu’ils renfermaient, nous nous dirigeâmes vers Cambrai où l’on nous disait que de nombreux soldats français restaient cachés, attendant le moyen de regagner le front. Cambrai, peu éloigné du front allemand, était un lieu de concentration de troupes allant au combat ou en revenant. On n’entrait dans la ville que muni de papiers parfaitement en règle. La sortie était aussi difficile. Un maire complaisant nous procura les