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CONDAMNÉE À MORT PAR LES ALLEMANDS.

Or, cette voie était gardée, et au passage à niveau se trouvait un corps de garde allemand. Avec la famille Maillard, de Maroilles, nous convînmes que les hommes entreraient ouvertement dans la forêt, accompagnant des voitures que nous avions réussi à nous procurer. Au nombre de 6, 10 et même 14, les uns conduisant, le fouet à la main, les autres tenant les chevaux par la bride, ils s’avançaient jusqu’à la barrière ; les Allemands sans défiance l’ouvraient toute grande, les voitures passaient, et les hommes nous rejoignaient à une faible distance où nous les attendions, ne pouvant passer avec eux sans donner l’éveil.

Pour le dernier passage que nous fîmes dans cette région, nous dûmes changer notre mode d’entrée en forêt. Il s’agissait cette fois de cinq Anglais, dont trois sous-officiers. Deux d’entre eux entrèrent le matin déguisés en maçons couverts de plâtre et portant sacs et truelles ; les trois autres nous rejoignirent le soir, sous le même déguisement ; les Allemands n’avaient rien soupçonné.

Le passage à niveau franchi, nous marchions deux longues heures dans la forêt pour nous rapprocher de la lisière Nord, nous nous arrêtions dans un épais fourré, et nous attendions là que l’obscurité, notre meilleure auxiliaire, nous permît la traversée des villages qui nous séparaient de Bellignies.

La forêt ne nous était pas cependant un asile très sûr ; les sentiers étaient parcourus par des Allemands en chasse ou en promenade. Un jour, nous avions avec nous sept hommes ; nous entendîmes des voix qui approchaient. Nous fîmes silence, et les fourrés n’étant pas encore très feuillus, nous vîmes passer à 10 mètres de nous deux Allemands armés de fusils : ils ne soupçonnèrent pas plus notre présence que la frayeur qu’ils nous avaient causée.

Le soir, après le couvre-feu fixé à huit heures, nous quittions la forêt. La circulation restait fort dangereuse, car il nous fallait longer une route nationale. Ce qui se pouvait effectuer en quatre heures de marche, nous en demandait six ou sept, en raison des détours et des fausses alertes. Nos hommes ne connaissant pas le pays, il fallait prévoir le cas où nous serions dispersés. Mon amie Henriette Moriamé nous précédait d’une centaine de mètres ; elle explorait la route ; je la suivais avec les hommes. Si nous avions rencontré des Allemands,