Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/658

Cette page a été validée par deux contributeurs.
654
654
REVUE DES DEUX MONDES.

complet. Inutile de décrire notre joie : nous avions couru un tel danger ! Je gardai cependant une inquiétude très vive. Le lendemain, M. Herman Cappiau devait venir à Bruxelles par la même voie et avec deux Anglais. Que feraient-ils si on les interrogeait ? Le voyage se termina heureusement : il n’y eut que la visite d’Enghien. M. Cappiau et ses amis avaient cinq faux cachets, chacun d’eux portant des noms de commissariats belges différents ; ils durent changer parfois certains d’entre eux que les Allemands avaient fini par remarquer. Ils remplissaient la formule de la carte d’identité avec le nom vrai ou emprunté de l’intéressé, collaient la photographie à l’endroit désigné et apposaient le cachet du commissariat avec une signature ad hoc. Il vint un moment où plusieurs de ces fausses cartes ayant été saisies par les Allemands, ils firent changer tous les passeports en circulation et exigèrent le sceau de la Kommandantur. Mais à cette époque nous étions déjà arrêtés…

Parmi les soldats provenant des régions de Salesches, Solesmes, Valenciennes, Cambrai, ceux qui n’avaient pas vécu dans des terriers, forcés de changer sans cesse de domicile pour échapper aux perquisitions, avaient trouvé asile chez des habitants. Inutile de dire que le passage de maison à maison se faisait la nuit. Ces hommes sentaient le danger qu’ils couraient et faisaient courir à ceux qui les abritaient. Tous les trois mois de nouvelles affiches apposées enjoignaient la déclaration immédiate des soldats alliés et français restés en arrière des lignes. Les peines les plus sévères étaient édictées contre ceux qui les cacheraient, les ravitailleraient ou ne les dénonceraient pas. On allait jusqu’à menacer de la mort ceux qui contreviendraient à ces instructions : dans plus d’une Kommandantur, on menaçait de pendaison.

Les Anglais que nous trouvâmes à Maroilles avaient surtout vécu dans des terriers. Nous visitâmes un jour un groupe de sept Anglais, cachés depuis six mois dans un terrier creusé à une profondeur de 50 centimètres, et mesurant 2 m. 50 de long, 2 mètres de large et 1 m. 10 de hauteur totale. Ils avaient passé l’hiver dans cet abri humide et froid, éloignés de toutes habitations, n’allant au ravitaillement que la nuit, car les Allemands étaient cantonnés dans le pays. Pour gagner la Belgique, il leur fallait traverser la forêt de Mormal, et la ligne ferrée Paris-Cologne qui en bordait la partie méridionale.