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en combinaisons, arrangements qu’un rien venait détruire.

Les personnes qui nous recevaient et qui consentaient à faire de leur maison un lieu de rassemblement, nous secondaient de leur mieux. C’étaient pour Maroilles, la famille Maillard ; pour Salesches, le curé, M. Deschoet ; pour Romeries, M. Bisiaux ; pour Solesmes, Mme Ladent ; pour Valenciennes, M. Delame et la famille Baron. La nuit suivante, lorsque toutes portes étaient closes, nous nous mettions en marche avec quatre, six, dix et même quatorze hommes. Ils se chaussaient de pantoufles à semelles de feutre pour assourdir le bruit de leurs pas, avançaient silencieusement en colonnes, prêts à se jeter à la première alerte dans les fossés bordant la route. Nous redoutions les autos, les patrouilles à pied, les cyclistes allemands qui patrouillaient à leur manière, et nous maudissions les chiens dont les aboiements pouvaient donner l’éveil.

Parfois, c’était un convoi de voitures allemandes, qui nous immobilisait longuement, cachés dans des prairies ou couchés dans les champs ; c’étaient des passants attardés dont rien ne nous indiquait la nationalité, et qu’il fallait éviter à tout prix ; à tout cela s’ajoutait la crainte d’un trop grand retard qui eût arrêté notre marche, car nous devions avant l’aube arriver à Bellignies.

Le château de Bellignies atteint, nous n’avions encore fait que la première étape du voyage. La princesse de Croÿ hébergeait nos hommes dans un vaste salon transformé en salle d’hôpital, et c’était bon de voir leur joie à l’aspect d’un lit ; certains s’abritaient dans des terriers depuis six mois et plus ! Le lendemain, la princesse les photographiait pour leur procurer de fausses cartes d’identité, et, la nuit suivante, nous reprenions notre route vers la frontière franco-belge. Les Allemands avaient interdit le libre passage de France en Belgique. Des tranchées garnies de fer barbelé étaient ouvertes à travers sentiers et routes perpendiculaires à cette frontière, et des poteaux portaient l’inscription : « Passage interdit, on tire… » Un factionnaire se tenait près de chaque tranchée, et la nuit les patrouilles surveillaient activement les routes. Pour éviter les obstacles, il fallait faire de grands détours, traverser des champs fraîchement labourés, des prairies dont l’herbe haute, couverte de rosée, vous trempait jusqu’aux genoux.

La frontière passée, nouvel arrêt de la troupe chez de braves