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maturité, que dire de la moisson longuement cultivée et prête pour la grange, qu’un orage massacre et piétine ? Trop souvent le printemps n’est qu’une brève illusion, un vain charme que les gelées ou la grêle détruisent : le fruit mûr, qui a traversé les épreuves de la vie, voudrait être respecté. Comment comprendre le mystère impénétrable de la mort, les choix ou les caprices insondables de la Providence ? Pourquoi sont-ce toujours les meilleurs qui s’en vont ? Pourquoi ceux-là et non pas d’autres ? Amis de ma jeunesse, Péguy, Augustin et Claude Cochin, Gabriel et François Laurentie, Guiard, Joachim Merlant, Ernest Babut, Henry du Roure, Louis de Clermont-Tonnerre, pourquoi nous abandonnez-vous, pourquoi vous êtes-vous retirés de cette France déserte dont vous étiez les fils les plus grands, les plus nécessaires ?

Je ne chercherai pas longuement à dire ce qu’aurait fait Clermont-Tonnerre, quels eussent été ses desseins d’avenir, quelle aurait pu être sa carrière. Tous ceux qui l’ont connu et qui ont cru en lui, s’étonnent devant sa tombe que Dieu ait éteint cette lumière. A-t-il donc tant d’apôtres qu’il puisse les gaspiller, les briser à sa guise ? La France a-t-elle de quoi faire ainsi sans compter des dépenses de ses plus beaux génies ? Clermont-Tonnerre dans ses entretiens de la guerre avait coutume de répéter que tout ne serait pas fini le jour de la paix : au contraire, le travail ne ferait que commencer. La guerre n’était pour lui qu’une préparation à son œuvre future, à cette création d’harmonie et de beauté morales, à cette renaissance française qu’il avait rêvée depuis toujours. Avec quelle expérience et quelle autorité nouvelles il aurait continué cette œuvre, dans l’épanouissement et le sourire de la victoire ! « Le XVIIIe siècle, disait-il, a été l’âge de la négation, le XIXe celui du doute ; le XXe sera le siècle de la reconstruction. » Il se sentait la force d’être un des ouvriers de la cité nouvelle, de la grande patrie et du grand lendemain.

C’est sur sa tombe, en ce jour qui amène l’anniversaire d’une mort si dure et d’une perte si troublante, qu’il faut relire les lignes suivantes, écrites après la mort d’un ami d’enfance, et qui prennent à cette lumière le sens d’un testament :


Que ferais-je, — écrivait le jeune homme le soir des funérailles de cet ami, emporté par une fièvre typhoïde, en quelques jours, en 1904 — que ferais-je, moi qui veux tant faire en ce monde, si je venais à