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les victoires de Verdun et de la Somme, s’était rapidement gâtée dans le cours de l’année suivante, et était redevenue très trouble. Les affaires de Russie tournaient décidément mal. On ne pouvait plus douter de la paix séparée. L’Italie subissait son désastre de Caporetto. Il avait suffi « de six mois pour rendre si sombre, en novembre, une situation qui semblait si brillante en avril. L’avenir s’annonçait de nouveau peu rassurant.

Je me rappellerai toujours nos entretiens des heures inquiètes de cet hiver, où l’on voyait déjà s’amonceler l’orage. Était-ce pour en venir !à qu’on s’était tant battu, qu’on avait tant souffert, qu’on se faisait tuer depuis trois ans ? Plus que jamais, les fautes et les erreurs des grands rendaient sacrées et précieuses aux yeux de Clermont-Tonnerre les vertus, les souffrances innocentes des humbles. C’était toujours en eux qu’il plaçait le salut. En tout cas, c’est à leurs côtés qu’il réclamait sa place, et ce n’était pas le moment d’en changer. Il rejoignit le régiment dans les premiers jours de janvier.

La division était alors au repos en Champagne et exécutait, d’après les instructions de Pétain, ces travaux défensifs sur lesquels devait venir se briser le 15 juillet la suprême ruée, la Friedensturm du kronprinz. Dans ces fastidieux travaux, Clermont-Tonnerre ne se lasse pas d’admirer la patience de ses hommes et leur gentille résignation. Ses lettres sont un hymne à ses pauvres « bonshommes, » à ces petits paysans si braves et si doux, si aisés à mener par le cœur, si pareils à ceux de toujours, race immortelle qui, est aujourd’hui comme hier la race de toutes les tâches dévouées, de tous les « coups de chien, » de toutes les batailles, de toutes les croisades, toujours grognante, toujours facile, toujours active, toujours au travail, ingénieuse comme l’abeille, l’éternel « menu peuple » de la bonne France.


Les merveilleux soldats ! Jamais on ne dira assez ce qu’ils supportent, ce qu’ils font, ce qu’ils valent. Et quelle simplicité ! Quelle honnêteté ! Quelle modestie aussi et quelle insouciance des galons, des décorations et de la gloire ! C’est le réveil du peuple français, et si les chefs militaires ou civils parviennent à s’élever à la hauteur de pareils hommes, c’est la résurrection de la France.


La dernière visite qu’il me fit, c’est encore, on l’a vu, par tendresse pour ses petits et pour faire qu’on leur rendit toute la justice qu’ils méritaient. Avec de pareils hommes, il savait