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barrage, — et quel barrage ! — simplement par reconnaissance pour un peu de bonté que je lui avais témoignée, et pour remplir envers son chef un devoir de gentillesse... »

Mais le soin du moral, s’il est la grande « jouissance » et la tâche préférée du capitaine de Clermont-Tonnerre, n’est encore qu’une partie de sa tâche. A côté de ce devoir, il y a l’ « instruction. »

Clermont-Tonnerre a tout à apprendre du métier. Il n’est pas question de faire ici un cours de tactique, mais on sait assez que la guerre est en perpétuelle évolution. Si les principes sont invariables, les procédés se modifient. Autrefois, la tactique changeait tous les dix ans. Dans cette guerre, elle aura changé tous les six mois. Déjà la tactique de l’Yser se distingue de celle de la Marne ; les batailles d’Artois et de Champagne marquent les débuts de l’emploi massif de l’artillerie ; cette science nouvelle se perfectionne à Verdun, se nuance d’une manière incroyable, parvient, grâce aux ressources de l’observation terrestre et aérienne, de l’avion, de l’aérostat, des diverses sortes de repérage, à une virtuosité inconnue. L’époque du grenadier, qui commence à Neuville-Saint-Waast, a eu son beau temps à Verdun et à la seconde bataille de l’Aisne ; l’espèce s’évanouit en 1918. L’époque de l’avion de bataille, de l’aviation de charge est à peu près contemporaine du dernier âge de la guerre, l’âge du tank. Il y a eu une heure de l’arme blanche, une vogue sanglante du combat au couteau. Et je n’ai rien dit du fantastique progrès de l’arme automatique, du plus redoutable assassin entre tous les engins de meurtre, l’arme squelette, la mitrailleuse.

Cette continuelle évolution des moyens de combat oblige le commandement à un travail correspondant d’adaptation. Il faut, sans se lasser, refondre les règlements, apporter des retouches, se méfier des formules, écarter le « tout fait, » modeler indéfiniment les conseils et les directives sur la réalité changeante. Cette guerre, qui paraît immobile au spectateur, est en perpétuelle transformation, toute en prodigieux mouvement et en travail d’idées.

De tout cet ensemble de faits résultent des conditions de bataille toutes nouvelles. C’est peu de chose dans la guerre qu’une compagnie d’infanterie : c’est la goutte d’eau qui subit la pression de la masse, la molécule où se répercute l’action de