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Le mois de juin a été peut-être le plus atroce de cette bataille atroce. C’est le mois de la prise de Vaux (7 juin), de la grande ruée sur Froideterre et Souville (23 juin). L’ennemi se sentant pressé en Galicie (4 juin) et sur la Somme (1er juillet) veut en finir coûte que coûte. Depuis la fin de mai, les assauts se précipitent. L’Empereur a décidé d’entrer dans la place le 15 juin. Il lance ses troupes de tous les côtés à la fois, il attaque par les deux rives. Ce qui se passe sur la rive droite est plus connu : la lutte n’est pas moins terrible sur la rive gauche. On sait que de ce côté la défense avancée était constituée par deux massifs à peu près égaux en importance, le Mort-Homme à l’Est, à l’Ouest cette colline sans nom qui porte sur la carte la cote 304.

Les zouaves étaient en ligne sur la colline sans nom. Ce qu’était alors l’existence sur le champ de bataille de Verdun, il n’y a pas de mots pour le décrire. Les bombardements de Verdun ! Ils conservent une gloire affreuse dans l’armée : ils servent de mesure à la capacité de souffrir. C’est de Verdun que date le mot de pilonnage. Les Allemands, appuyés sur un matériel immense, concentré à loisir à l’abri de leur place de Metz, amené à pied d’œuvre sur leurs quatorze chemins de fer, ont amoncelé là en effet une artillerie inouïe : plus de deux mille canons, dont plus de la moitié de pièces lourdes. Avec leur méthode boche, ils ont imaginé de suppléer à toute tactique, à l’élan, aux anciennes qualités militaires, par un déluge d’explosifs. La terre elle-même change de forme ; les collines, sous les coups de rabot des obus, perdent leur relief, leurs contours. Le paysage prend cet aspect jamais vu, monstrueux, cet aspect de néant, cette apparence vide et croulante de fourmilière et de sciure, où des échardes, des fétus, des débris de choses mêlés comme de la paille dans de mauvais pain, rappellent qu’il y a eu des bois, des fusils, des brancards, on ne sait quoi de concassé là. Là dedans, on ne vit plus : des dix, des douze heures durant, on est dans ce désert, sous le bombardement, dans cette lune d’entonnoirs, où se creusent d’autres entonnoirs. On ne dort plus, on ne mange plus, on range les morts sur le parapet, on ne ramasse plus les blessés. C’est là que se trouvaient les zouaves depuis le 20 mai. On juge de l’effet que produit un homme qui arrive librement, de plein gré, rejoindre les camarades dans un pareil enfer, qui