J’y courais sous les feuilles lisses ;
Tous les coins m’en étaient connus
Et je sentais avec délices
La rosée à mes mollets nus.
Jusqu’au soir, dans la splendeur verte,
Etonné plutôt que rieur,
Je refaisais la découverte
Qu’il est un monde extérieur ;
J’en aimais les aspects multiples,
J’interrogeais les environs,
J’entreprenais de grands périples,
Des cassis aux rhododendrons.
Tout parlait à mon âme claire ;
Le banc, le puits, le marronnier,
L’aiguille du cadran solaire,
La lucarne du pigeonnier ;
Ces choses ravissaient mon être
Surpris, muet et triomphant.
Quelqu’un disait, à la fenêtre :
« Comme il est sage, cet enfant ! »
Quelquefois, dans ma rêverie,
Pris d’une peur subite et las,
Je rentrais, la bouche fleurie
De groseille ou de chasselas ;
Des plaisirs d’une autre nature
Se retrouvaient à la maison,
Suivant les jours de confiture.
De lessive ou de salaison.
Comme le verger, la cuisine
Était un autre paradis :
Il y faisait bon ; la voisine
Venait y coudre les jeudis ;
L’eau gouttait dans son pot rustique,
Le chat dormait sur un sarment ;
Au foyer, l’âme domestique
Veillait silencieusement.
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