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un drapeau tricolore immense ; sur cette même place, la maison du maire Dietrich où le capitaine Rouget de Lisle, pour la première fois, chanta « l’Amour sacré de la Patrie » et dont les murs, depuis des semaines, renvoient aux échos de l’Europe l’hymne sacré chanté à toutes les heures par les bouches et les cœurs. Des acclamations fêlées par les larmes coupent le discours du Président ou bien plutôt le scandent ; elles semblent les répliques du chœur après chaque strophe ; lorsque le salut aux morts a terminé ce chant de triomphe, de tels cris d’enthousiasme s’élèvent, qu’il faut bien penser qu’ils s’entendent au delà du Rhin tout proche. C’est après une heure pareille qu’un Strasbourgeois, après tant d’autres, peut écrire : « et maintenant, Seigneur, reprends ton serviteur. »

Dans l’Hôtel de Ville, après ces minutes de surhumaine émotion, joyeuse mêlée : le Protocole a dû fléchir ; tous se sont rués ; qui peut s’opposer à un torrent d’amour ? Nous ne sommes pas des Boches. Les aimables colloques s’engagent, mais dans un prodigieux remous, où l’on voit des maréchaux de France bousculés, — et contents, car, assaillie de baisers, ces rudes soldats se doivent, pour la première fois, avouer vaincus. Et voici que se noue entre M. Georges Clemenceau et Mlle LieseL W... le petit roman qui demain fera la joie de Strasbourg et de toute la province : « Détails que l’histoire ne doit pas consigner, » me dit un grave personnage. — Détails plus caractéristiques de ces fêtes que bien d’autres, répliquerai-je une fois pour toutes, non point seulement parce qu’ils sont aimables, mais parce qu’ils sont probants d’un état d’âme sans pareil en la chronique des peuples.

M. le vicaire général Jost attend cependant le Président au seuil de la vénérable cathédrale, fille de notre Saint-Denis, comme, le 20 octobre 1681, l’évêque Egon de Furstenberg attendait le Grand Roi à qui Strasbourg se donnait. Depuis des semaines, les Te Deum sont venus derechef emplir cette nef, frapper ces voûtes ; mais depuis quarante-huit ans, que d’ardentes prières, que de Miserere montèrent pour que l’heure vint, qui est venue !

Cette attente, nul n’en perdra le souvenir : devant le parvis la foule s’accumule ; que de parlementaires désireux d’entrer dont quelques-uns jettent bravement leurs vieilles phobies aux orties et vont pénétrer, — avec une insolite émotion, — dans la