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à celle qui avait, sous Richelieu, employé Abraham Fabert, à celle qui, sous Napoléon, avait vu sabrer Michel Ney, à celle qui, sous la République, avait formé ces soldats admirables dont trente mille allaient défiler sur la vieille Esplanade de la guerrière Metz. Cette préface au voyage unique qui s’allait dérouler paraissait à tous la plus belle qui se put imaginer.

Le splendide défilé des troupes fut, autour du nouveau maréchal et devant le chef de l’Etat, une fête incomparable des armes, défilé impeccable, grave, imposant au possible. J’avais vu la poignante entrée de Pétain à Metz et gardais de ce « sacrement » le souvenir que j’ai essayé de traduire. Il me parut que, le 8 décembre, la foule n’était plus la même : elle n’avait plus devant les troupes l’espèce d’extase quasi muette qui, le 19 novembre, nous avait tous si fortement impressionnés. Familiarisée avec nos soldats, elle les voyait passer avec une amitié plus expansive ; mais ses yeux, les yeux des Lorrains accourus de tous les villages, bourgs et cités environnants, se fixaient avec une respectueuse tendresse, et sur les trois maréchaux, et sur le Président lorrain. Lorsque celui-ci, dans un élan très noble, eut attiré dans ses bras M. Clemenceau, cette « étreinte » dont un écrivain a déjà dit ici la grandeur, frappa vivement les milliers de témoins : cette accolade scellait l’oubli des querelles et semblait tout à la fois la légitime reconnaissance de l’immense service rendu par le « Père la Victoire » à son pays et le dernier mot de cette union sacrée dont, au cours de l’admirable et célèbre message du 4 août 1914, l’homme d’État porté à l’Elysée avait le premier donné la formule et imposé la pratique. Par là, par la présence autour de lui des représentants de tous les partis, par celle des grands chefs alliés Douglas Haig et John Pershing, la cérémonie prenait une envergure telle, qu’aucune des grandes heures que j’avais connues depuis cinq semaines, aucune de celles qui allaient suivre ne m’ont paru empreintes d’une grandeur comparable. La spiritualité singulière qui animait cette ville de Metz agissait une fois de plus : la Mule continuait, de sa voix grave et forte, à « sonner la justice » avec l’union des citoyens « et à convoquer gens ensemble. »

Que la foule messine parût cependant, ce jour du 8 décembre, moins « recueillie » que le 19 novembre, cela était visible et ses dispositions, plus joyeuses encore que pieuses, s’étaient, dès