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dernier martyr de la foi alsacienne, avaient empêché la prescription du droit.

Et quand le président les appelait d’une voix tremblante d’émotion, ces hommes qui, ayant été à la peine, n’avaient pu être à l’honneur et à l’allégresse de l’heure, il semblait vraiment que cette salle d’un bien petit Parlement devînt trop étroite pour les grandes ombres qui maintenant la remplissaient. L’abbé Delsor avait raison : c’étaient tous ces représentants de l’Alsace et de la Lorraine qui, plus même que ces élus de 1912, étaient là, proclamant ce que, tant d’années, ils avaient crié, et Antoine, et Dupont des Loges, et Teutsch.et Kablé et Winterer, et Simonis, et Preiss, et cinquante autres : « L’Alsace et la Lorraine, terres françaises, n’ont point cessé un instant d’être françaises. » Et, chacun s’étant levé dans un silence religieux pour rendre hommage à la mémoire de ces vaillants, l’abbé Delsor cria : Vive la France ! Vive la République ! » Le cri fut répété par députés et assistants, et soudain en cette salle où la tribune impériale s’apercevait remplie d’uniformes français, la Marseillaise éclata d’elle-même. Et ce fut très beau. Ainsi se sépara la Chambre d’Alsace-Lorraine dont, en 1912, les gazettes de l’Empire allemand avaient partout en Europe, il m’en souvient, claironné que sa composition « rassurante » prouvait que l’Alsace-Lorraine s’inclinait enfin devant le fait.

Cependant, des groupes assez sombres franchissaient le pont de Kehl : c’étaient les Allemands expulsés, hauts fonctionnaires, hauts professeurs, policiers de l’Empire, mouchards notoires et notoires tortionnaires qu’on sauvait de réactions plus violentes. J’en avais vu le matin la triste théorie s’écouler ; les Alsaciens les regardaient passer avec des yeux inquiétants ; l’un d’eux, ironique, cria : « Le bonjour à Hindenburg ! » Derrière eux, Strasbourg, purgé, étalait une belle santé ; le matin, le général Gouraud avait, fête singulière, dans ce Broglie dont les Allemands et leur Vater Rhein n’avaient pu tout à fait détruire l’élégante ordonnance, remis, devant la division d’Afrique, la plaque de grand-officier à l’émir Feyçal, fils du roi du Hedjaz, et on avait, à la joie d’une foule attroupée, réentendu, entre deux Marseillaises, la nouba des tirailleurs. Maintenant, ces soldats étaient familiers : c’étaient nos soldats, ainsi que s’exprimaient les Strasbourgeois.

Tous ces tableaux, et j’en passe, donnaient à Strasbourg