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Kœnigsberg aussi, les geôles ont été ouvertes ; à Thorn, où ils tentaient la même opération, les spartakistes ont été repoussés par les gardes-frontière, plus utiles à cette besogne qu’à traquer les Polonais. Il y a eu pis ou plus fort : l’Assemblée nationale et le gouvernement d’empire ont été bloqués dans Weimar ; les communications avec Berlin ont été coupées ; à plusieurs reprises, le train parlementaire n’a pu ni partir ni arriver. Cependant, des centaines d’agitateurs parcourent l’Allemagne, voyageant librement par trains spéciaux, — ce qui prouve qu’on ne leur a pas enlevé tous leurs wagons et toutes leurs locomotives ; — exhortant à la révolte, le peuple déçu, affamé et aigri. Mais il convient d’ajouter qu’à la différence de la Russie où presque tout le monde s’abandonne, certains milieux, en Allemagne, et le gouvernement en tête, réagissent. On se bat à Hambourg. Les troupes gouvernementales ont repris Halle, qui paraît être au centre du tourbillon, et défendu Eisenach ; elles s’apprêtent à défendre Berlin, et Weimar, s’il est nécessaire : l’armée cantonnée dans les environs donne des signes qu’elle serait disposée à en faire autant pour Munich, et peut-être un peu plus : à attaquer.

Malgré ces oppositions et ces répliques, voilà des symptômes non équivoques de la croissance du bolchevisme d’un bout à l’autre de l’Allemagne ; en voilà dix entre cent, entre mille. Est-ce à dire qu’on a eu tort naguère de parler de « camouflage » et que, dès le début, c’était sérieux ? Il demeure acquis que, dans les derniers mois du régime impérial, vraisemblablement en juillet et en août 1918, lorsqu’il a été avéré que l’offensive de rupture était manquée et que la guerre était définitivement perdue, le grand état-major tout le premier, ou tel ou tel des grands chefs, Ludendorff à l’Ouest, Falkenhayn à l’Est, pour conserver dans la débâcle un ersatz de discipline, n’ont pas empêché, ont même tacitement favorisé l’éclosion de conseils de soldats, d’ailleurs recrutés de préférence parmi les sous-officiers. Leur erreur a été de croire qu’on faisait au fléau sa part, et qu’en l’inoculant à l’Allemand après l’avoir cultivé sur le Russe, on changerait le virus en vaccin. C’était merveille d’avoir expédié à Petrograd, en compartiment réservé, Lénine et ses compagnons ; jusqu’au lendemain de la « paix » de Brest-Litowvsk on eut sujet de s’en applaudir ; mais il eût été prudent de veiller à ce que la voiture rentrât plombée comme à l’aller ; et de prendre garde, d’autre part, que M. von dem Bussche ne rapportât de Bucarest aucune des caisses de microbes qu’il n’avait pas eu le temps d’enterrer dans son jardin. L’Allemagne, cette empoisonneuse, a fini par s’empoisonner elle-même.