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III

Remarquons la maxime sur laquelle s’achève l’histoire de Clazomène. Il y aurait à en rapprocher cent autres où Vauvenargues, trompé dans toutes ses espérances, se plaît ainsi à défier la fortune. Elles représentent ce que l’on peut appeler la phase stoïcienne de sa pensée. Point de lamentations ni de révolte. Acceptez la douleur comme une nécessité, acceptez l’inévitable, subissez les injustices du sort ou de la vie sociale sans pour cela désespérer du lendemain, et les maux que vous attirent vos fautes sans vous mépriser pour cela, et que toute épreuve vous serve à prendre conscience de votre dignité d’homme et de votre personnalité. Telle est à peu près la leçon qu’à son tour nous donnera Vigny :


Gémir, pleurer, prier, est également lâche…


Seulement, Vigny s’en tiendra là, se retirant de la mêlée, s’enfermant dans la « tour d’ivoire, » s’immobilisant dans son attitude de dédain hautain. C’est bien, du reste, pourquoi, si haute que soit toujours son inspiration, il n’est pas d’étude plus attristante que celle de son œuvre en prose ou envers ; c’est pourquoi il n’est pas de lecture qui nous ôte plus radicalement toute joie de vivre.

Il en va bien autrement de Vauvenargues. Le stoïcisme n’est pour lui qu’un état transitoire. De l’antique formule, Abstine et sustine, il ne retient qu’un terme, le second. L’ataraxie du stoïcisme n’est pas plus son fait que le renoncement du chrétien. Il ne veut pas de la cellule où Pascal nous pousse ; il n’eût voulu ni du cabinet de travail où se cloître Vigny, ni des solitudes agrestes où se réfugie Rousseau. Port-Royal, l’Ermitage et le Maine-Giraud sont trois formes différentes de l’abdication, mais c’est toujours de l’abdication.

Vauvenargues n’abdique pas.

Il est vrai, nous dit-il, que la vie est une lutte et une lutte presque toujours inégale, que des déboires et des mortifications sans nombre vous sont réservés, et qu’au bout du compte vous avez peu de chances de réussir ; il est même quasi certain que vous échouerez. Que cela ne vous trouble point. Le succès est chose secondaire.. Il faut lutter, lutter éperdument ;