que l’on remarque parmi la noblesse de province, et qui éteint toute émulation ?
J’ai passé, Monseigneur, toute ma jeunesse loin des distractions du monde, pour tâcher de me rendre capable des emplois où j’ai cru que mon caractère m’appelait, et j’osais penser qu’une volonté si laborieuse me mettrait du moins au niveau de ceux qui attendent toute leur fortune de leurs intrigues ou de leurs plaisirs. Je suis pénétré, Monseigneur, qu’une confiance, que j’avais principalement fondée sur l’amour de mon devoir, se trouve entièrement déçue. Ma santé ne me permettant plus de continuer mes services à la guerre, je viens d’écrire à M. le duc de Biron pour le prier de nommer à mon emploi. Je n’ai pu dans une situation si malheureuse me refuser de vous faire connaître mon désespoir ; pardonnez-moi. Monseigneur, s’il me dicte quelque expression qui ne soit pas assez mesurée. Je suis, avec le plus profond respect, etc.
Cette fois, le ministre parait s’être aperçu que ce solliciteur était quelqu’un, car nous possédons sa réponse, polie, quoique encore bien évasive. Et peut-être Vauvenargues eût-il fini par obtenir un poste grâce à Voltaire, avec qui il était depuis quelque temps en relations et qui s’était aussitôt épris de lui. Mais de nouveaux obstacles surgissent. Sa famille s’oppose à son projet, le rappelle à Aix, sa ville natale ; et il n’y est pas plus tôt. arrivé qu’il est atteint de la petite vérole. Il n’en réchappe que pour rester affreusement marqué, à peu près aveugle, et désormais poitrinaire ou, comme disait le vieux langage, « pulmonique. »
Il ne se laisse pas abattre. Devant ses yeux qui n’y voient plus Hotte un dernier mirage, celui de la gloire littéraire. Il s’est déjà essayé à écrire, pour lui-même, pour Hippolyte de Seytres, pour Voltaire. Encouragé par ce dernier, il vient en 1745 se fixer à Paris, et l’année suivante il publie quelques-uns de ses écrits, notamment les Réflexions sur divers sujets où il est lui plus que nulle part ailleurs. Voltaire qui le chérit et l’honore, qui, plus vieux de trente ans, l’appelle son maître. Voltaire bat des mains et parle du livre jusque dans la chambre de la reine. Est-ce le succès qui vient, enfin, la gloire tant désirée ? Non, ce qui vient pour Vauvenargues, c’est la mort.
Rien de plus triste que ses derniers jours. Il apprend que les Impériaux ont passé le Var, que sa Provence est envahie. Il souffre d’être à Paris, « bien tranquille au coin de son feu, »