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le pas, les angéliques façons ! Dès à présent il la supplie de conclure avec lui, entre ciel et terre, un traité. Madame priera pour lui, et puis, quand son tour viendra, quand Dieu l’appellera, elle veillera, attentive, à son passage au monde meilleur. Elle ira au-devant de lui, elle l’appellera par son nom, et lui tendra la main.

Le poète pour sa part, tant qu’il sera sur la terre, aura une mission à accomplir : il célébrera sans cesse le nom, la gloire de madame Laure, pour la défendre de l’oubli auprès du monde aveugle et ingrat qui « ne l’a pas connue, tant qu’il l’a eue ! »

« Allez, rimes dolentes, » dit-il à ses vers, qu’il envoie, comme des messagers, vers la Dame, la Laure du Laurier :


Dites-lui que déjà je suis lassé de vivre,
de naviguer par ces ondes affreuses,
mais que, ramassant d’Elle les feuilles éparses,
je marche ainsi, pas à pas, par derrière.
Je ne parle jamais que d’Elle, vive ou morte, —
d’Elle vive vraiment, d’Elle faite immortelle !


Puis il se retourne vers le monde, pour lui montrer tout ce qu’il a perdu, lorsqu’à disparu d’entre les hommes ce plus bel exemplaire de notre humanité, une femme belle, sage et pure, une « semeuse de vertu. »


Tu as laissé, ô Mort, le monde sans soleil,
obscur et froid, l’Amour aveugle et désarmé,
la grâce toute nue, la beauté sans puissance,
moi sans consolation, et sur moi, un poids lourd !


Quand il a montré le deuil de la terre, il veut chanter aussi la joie du ciel, et la fête d’en haut pour l’arrivée de la Dame sans pareille :


Les anges élus, et les âmes bienheureuses,
citoyennes du ciel, le premier jour
que Madame passa, se pressèrent près d’Elle,
pleins de surprise et de révérence.
« Quelle lumière est celle-ci, quelle beauté nouvelle ? »
— disaient-ils entre eux, — « car, parure si ornée
« du bas monde pécheur en ce très haut séjour
« jamais, en tout le temps du siècle, n’est montée ! »