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l’Europe une monarchie intellectuelle pareille, je devrais encore ajouter : c’est Voltaire.

L’étude de Pétrarque est comme une science. On a été en Italie jusqu’à nous appeler des Pétrarcologues. L’expression est pédante et l’on en sourit. Ce qu’elle désigne n’est pas sans quelque réalité.

Mais il est un poète, et un poète italien. C’est à quoi je voudrais penser un peu. Pour pénétrer tout le sens des poètes, il faut les commenter ! Sans doute. Mais pour les aimer, il faut les lire, — quand on peut.

Peut-on lire Pétrarque ? Il y a dans le passé bien des poètes qu’on peut à peine lire, — triste chose, — dont les vers ne sont plus qu’un sujet d’étude érudite, tant diffèrent entre eux et nous la langue et la pensée. Pour Pétrarque, rien de semblable. Sans doute quelques-uns de ses vers ont vieilli ; d’autres se sont obscurcis. Presque tous ont gardé une étonnante fraîcheur. Je dirai plus : beaucoup nous appartiennent, et sont de notre temps, ou à peu près. A chaque moment, on y retrouve quelque sentiment commun avec le romantisme du XIXe siècle : passion, douleur, mélancolie, amour de la nature, désespoir, mort, repentir, élan mystique. Quand je suis avec Pétrarque, il arrive, par courts moments, que je ne me sens pas bien éloigné de Musset et de Lamartine, peut-être même de Baudelaire ; j’allais ajouter : Verlaine.

Chose singulière : nos pères, qui l’adoraient, étaient,. par le goût, bien éloignés de nous. Au XVIe siècle et jusqu’au XVIIIe, cette question : « Faut-il lire Pétrarque ? » eût fait bondir bien des gens. Quel poète fut plus populaire dans l’Europe entière ? Madame Laure, Vaucluse, étaient des noms de légende. Mais dans ces siècles, où Pétrarque eut la popularité, on le connaissait, je pense, assez mil. Toute notre poésie amoureuse, de Ronsard à la fin, sortait moins de Pétrarque, que des Pétrarquistes, ses fastidieux descendants. L’homme était toujours fameux. Mais on avait fini par le défigurer. Au début du XIXe siècle, Pétrarque et Laure, en France, étaient devenus bien « province, » bien « troubadour, » thèmes pour Jeux floraux ou Athénées de Vaucluse, un peu « sujets de pendule. »

Nos poètes d’alors, sauf Lamartine toujours si averti, ne se sont guère aperçus que le grand lyrique toscan leur était assez semblable. Le surnom de « moderne, » qu’on lui a donné si