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me dit une religieuse, croiriez-vous : le général Gouraud est venu ici passer une revue ; mes petites de l’école et moi étions sur le bord du chemin ; on a crié : « Vive la France ! » Le général a salué en passant ; cinq minutes après, voilà la voiture qui revient ; c’est la voiture du général et plusieurs autres qui venaient nous prendre pour que nous voyions bien la revue. Ah ! les petites étaient joyeuses, sautant des voitures devant vos soldats si graves et qui souriaient tout de même. » Il souffle un grand vent de grâce fraternelle et aussi, chez nos soldats, un souffle de sentiment. Les fusiliers marins qui auront défilé à Metz ne voudront pas quitter la ville sans porter à la tombe de ce magnifique Breton, qu’une si singulière fortune fit, au Reichstag de Berlin, le représentant de l’âme française, une couronne portant : « A l’évêque breton... Les fusiliers marins bretons. » Oui, il y a du sentiment plein l’air. Les administrateurs français comme les officiers français semblent avoir pris pour devise le vers de Corneille :


Remplir les bons d’amour et les méchants d’effroi.


On est résolu à faire adorer la France là où on la chérissait. Jamais le Français ne connut pareil amour ; il s’en rend compte et entend s’en montrer digne.

Un jour, je roulais à travers l’Alsace aux côtés d’un jeune et brillant général anglais. Il me donna une note qui, dans ce concert de joie, d’amour, d’enthousiasme, me parut encore savoureuse. Lui aussi avait été, comme disait tout à l’heure le poilu, « sidéré. » L’entrée des Français en Alsace était pour lui un trait de lumière, une révélation : « Croyez bien que cela nous fait aussi un joli plaisir. On nous disait bien : L’Alsace-Lorraine, arrachée à la France, aspire à redevenir française ; oui, on nous le disait ; nous, nous disions : « Il est très juste que « la France reprenne ce que l’Allemagne lui a pris. » Mais que l’Alsace-Lorraine, après quarante-huit ans, fût restée française, franchement, là, je vous le dirai, nous n’y croyions guère. Mais aujourd’hui, je vois bien combien cela était vrai. Et vous comprenez aussi que nous sommes heureux d’avoir un peu aidé à délivrer ces pauvres gens, à les rendre à leur patrie. » Il resta pensif un instant : « C’est tout de même pour les Français une grande gloire, cet amour, après un demi-siècle ; vous êtes une nation enviable. » Et enfin il ajouta : « C’est beau, ces hommes