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d’ailleurs « bien habillés et bien portants. » Sont-ce là ces soldats toujours débandés, insolents, débauchés et pillards que l’Allemand avait annoncés ? « Ces Boches, quels menteurs ! » me dit, à ce sujet, un Alsacien indigné.

Les chefs étonnent peut-être encore plus Alsaciens et Lorrains faits à la morgue des gens « hautement bien nés » de l’Etat-major impérial, des « officiers à monocle. » « Qu’ils sont simples, qu’ils sont humains ! Et les plus grands ! » La camaraderie d’homme à officier, à la vérité augmentée par quatre ans de guerre, les stupéfie, mais aussi et plus encore l’attitude des grands chefs vis-à-vis du « civil. » « Comme ils sourient aimablement ! » J’ai dit les propos exaltés que j’entendis sur Gouraud le jour où il entrait à Strasbourg. Je me rappelle qu’ayant dit à ceux qui l’entouraient ce qu’était le général Fayolle, ses services, ses victoires : « Qu’est-ce qui croirait cela ? s’écria une femme. Un homme si simple, si bon, si gentil ! » Il fallait leur dire à la vérité, car ils l’ignoraient totalement, quel rôle avaient joué tous ces chefs de guerre, et j’ai conscience d’avoir fait en pleine rue de rudimentaires conférences d’histoire très contemporaine. Castelnau, ils savaient ; Foch, Pétain aussi, mais des autres presque rien. Et ils ne se lassaient point de s’entendre raconter la guerre. Maistre, Fayolle, Mangin, Gouraud, Debeney, Humbert, qu’ils voyaient à Metz, à Strasbourg, qui étaient-ils ? Et toujours le même refrain ! « Si grands ! Et qu’ils sont simples ! » On en éprouvait, — tout comme devant le poilu humain et gentil, un attendrissement allant parfois jusqu’au transport.

Ces poilus, ils avaient apporté avec eux tout ce qu’on aime, la liberté et le pain blanc. « Quelle joie de redevenir soi-même ! » s’écrie un Alsacien. Ce fut la note dominante : la liberté de redevenir soi-même. « Quelle joie de pouvoir écrire, parler, agir comme bon vous semble, sans avoir la peur d’être entendu par l’un ou par l’autre ! Nous étions devenus de vrais comédiens. » »c Chacun a pu jeter le masque d’hypocrisie imposé par les Boches. » Mais c’était surtout « la langue retrouvée. » « Enfin nous parlerons maintenant notre langue maternelle qu’ils nous ont empêchés de causer depuis quatre ans. » Ceux qui ne savent pas se mettent à apprendre : « M. le Curé fait chaque soir un cours auquel j’assiste. Nous avons aussi deux sergents au cantonnement qui nous apprennent le